Humour
Entretien avec Régis Mailhot, directeur du Théâtre des Deux Ânes, qui défend le “rire qui comme résistance”

Entretien avec Régis Mailhot, directeur du Théâtre des Deux Ânes, qui défend le “rire qui comme résistance”

27 September 2018 | PAR Yaël Hirsch

C’est sous la direction de Régis Mailhot que le Théâtre des Deux Ânes, art déco et engagé depuis 100 ans, fait peau neuve. Nous l’avons rencontré à la veille du grand événement de ce début d’année : le Festival Désobéissant qui réunit le fleuron de l’humour français sur sa scène, du 23 au 30 septembre.

Originellement dédié à la chanson politique critique et engagée, le théâtre des Deux Ânes poursuit dans cette veine et la modernise, en allant vers l’humour de haut niveau. Et tout commence par un festival endiablé qui se tient jusqu’au dimanche 30 septembre où Blanche Gardin et Pierre-Emmanuel Barré ont fait salle comble dès l’ouverture. Avec des bœufs d’humoristes géniaux, des spectacles entiers comme celui de Audrey Vernon sur Karl Marx et sa femme et un grand Bal des désobéissantes, ce samedi; le Festival rassemble une affiche incroyable, qui va de Jacques Mailhot à Rédouanne, en passant par Pablo Mira et Alex Vizorek. C’est au Théâtre des Deux Ânes même que nous avons rencontré Régis Mailhot, à l’affiche de ce Festival qu’il programme et bientôt sur la scène pour un spectacle sur notre Macronie, Citoyen ( en ) marche ou grève.  Il nous  a raconté son théâtre, nous a parlé de sa programmation qui commence sur les chapeaux de roues avec Constance et Aymeric Lompret, et revient sur une certaine idée de l’engagement par les mots et la scène.

Dans le contexte actuel est-ce un enjeu important d’avoir la liberté d’avoir son propre théâtre, de créer des événements live ?
C’est le plus qu’important, c’est pour ça que j’ai voulu mettre un peu cet exergue en bas du logo « Théâtre Désobéissant » parce que la désobéissance c’est surtout l’indépendance. Aujourd’hui on voit bien que sur le paysage théâtral parisien il n’y a presque plus de théâtres indépendants qui se suffisent à eux-mêmes qui n’appartiennent ni à des groupes ni à des consortiums ni à des pôles d’intérêts médiatiques. Donc c’est important d’avoir des lieux qui sont indépendants et qui peuvent assurer une programmation, qui sont héritiers d’une ligne qui est la satire, la défense du propos d’opinion sous l’aspect théâtral qui est une forme d’expression importante. Remettre le rire au centre de tout. Le rire a toujours été un des véhicules principal pour dire des choses sans être ni péremptoire, ni moralisateur. Le rire c’est toujours être du côté des gens, du côté de l’humain quel qu’il soit. Certains font du stand-up, des personnages, d’autres vont faire de l’imitation, de la revue, du sketch mais ça a toujours été être celui qui fait rire, le fou du roi… Beaumarchais était un chansonnier à son époque, il était toujours là à aller titiller à la fois le pouvoir en place, et les bigots de l’époque.

Est-ce que ça fait une différence de critiquer nos modes de vie, par exemple des sketchs sur l’écologie, sur le fait d’être bobo, est-ce qu’il y a des choses plus politiques que d’autres ou est-ce que tout ça fait partie d’une tradition politique ? 

La politique est beaucoup plus globale. Désobéir c’est ne pas se conformer à ce que chacun perçoit comme une pensée commune, d’une forme de bien-bien-pensance, ne pas dire oui à un dictât d’une époque un peu hygiéniste qui nous explique comment consommer, ce qui est bon pour notre corps, etc. On retourne à Molière qui se moquait des médecins avec ceux qui nous expliquent ce qu’est le bonheur selon la façon dont on se nourrit par exemple. Tout cela en ayant un discours très critique sur les paradoxes des grandes entreprises qui nous vendent de l’écologie mais qui tuent plus ou moins la planète avec leurs modes de production. Il y a plein d’angles de perception.

Mais ici il y a aussi encore de la chanson politique un peu à l’ancienne ? Vous avez à cœur de garder un ou deux spectacles dans cette tradition ? 

Ça ne chante plus beaucoup ici depuis longtemps. La chanson politique existe, dans le festival par exemple Frédéric Fromet pratique la tradition du pastiche, détourner une chanson connue pour en faire une petite charge contre un fait d’actualité, ça peut être soit Benalla, quelque chose sur Monsanto, etc. Finalement c’est juste le talent qui sera là.

Quel est le public qui vient ici aujourd’hui ? 

C’est plutôt un théâtre qui accueille de gens qui viennent de partout en France. C’est un des rares théâtres qui a une notoriété nationale. La promesse est là, premièrement vous allez vous marrer et deuxièmement il y a un côté vengeur, on va vous venger des tracas du quotidien. Mais il y a aussi beaucoup de parisiens. Une clientèle un peu plus senior parce qu’ils ont été élevés avec ça, leurs parents allaient voir les chansonniers, on les écoutait à la radio. Et maintenant c’est à nous d’amener la nouvelle génération.

La forme festival c’est la première fois ? Est-ce pour faire venir un autre genre de public ?

Oui le but est de faire connaitre cet endroit à la nouvelle génération. Les artistes viennent parce qu’il y a une confiance, on fait partie de la même camaraderie. C’est un vrai théâtre, en plein cœur du Pigalle un peu « swinging », qui est sympathique. C’est un lieu qui a une histoire et qui la raconte. On ne veut pas que cette tradition des chansonniers qui se sont produits ici, Pierre Dac, Jean Yanne… se perde. C’est un signe de bonne démocratie d’avoir des lieux comme ça, des espaces de liberté et où ça se passe en vrai, pas sur les réseaux. La parole publique est difficile parce qu’elle est rattrapée, trafiquée, reprise avec des hashtags, etc. Le second degré est en danger. À mon sens on va aller vers une pudibonderie de la parole qui va être un peu terrorisante.

Ça a été facile de choisir qui va faire partie de ce festival ? Y avait-il une évidence ? 

Pour moi ce casting était parfait. Le plus dur était surtout de les convaincre mais aujourd’hui tout le monde veut y participer. Je souhaite que ces artistes soient convaincus et qu’ils se sentent chez eux. Ce qui fait la pérennité d’un lieu c’est aussi ce qu’on peut y programmer et si les gens y viennent.

Et dans cette programmation est-ce qu’il y aurait des voix moins connues que vous avez envie qu’on découvre ? 

Oui, il y a des artistes et des thèmes plus exigeants comme Audrey Vernon qui fait un très beau spectacle sur Karl Marx. J’ai aussi des spectacles comme Monsieur Fraize qui est dans l’absurde absolu. Des plateaux d’humour avec Frédéric Fromet, Alez Vizorek, Blanche Gardin pour ouvrir avec Pierre-Emmanuel Barré dans une impertinence très ancrée dans la dureté de l’époque. Dans un registre plus musical, Les Rois de la Suède, Redouanne Harjane, Pablo Mira, Thomas Vdb. Il y aura un gala qui s’appelle le « bal des désobéissantes » qui sera composé que de filles ou presque, il y aura du cabaret burlesque mais pas que. Mais aussi le « gala des tauliers » avec Jacques Mailhot, Bernard Mabille et Anne Roumanof qui viendront faire leur show et expliqueront un peu leur métier.

Ce n’est pas difficile pour vous d’organiser la programmation et d’être sur scène ? 

C’est la rentrée, je m’occupe de la programmation donc j’ai pour l’instant mis entre parenthèses ma propre carrière artistique pour pouvoir m’occuper de ça. Je reprendrai un spectacle que j’ai tourné l’année dernière avec une revue de presse un peu offensive pour faire ma déclaration d’amour à ce nouveau monde macroniste. Un jeune qui fait du vieux c’est vintage finalement c’est très Deux Ânes en fait.

Vous pensez que les artistes présents lors du festival auront envie de vous proposer leurs spectacles ici plutôt que d’aller à d’autres endroits ? 

Aujourd’hui si vous voulez présenter un spectacle d’humour à Paris dans un lieu qui raconte quelque chose, il faut que vous ayez une pertinence éditoriale. Je crois que Les Deux Ânes sonne comme l’endroit idéal ne serait-ce qu’en terme de jauge et puis vous savez ce que vous allez voir. C’est mieux d’être ici que dans un hangar à comiques ou un supermarché à stand-up. L’opportunisme commercial dans nos métiers est de plus en plus cynique. Les comiques sont partout mais l’humour est vraiment nulle part. Je crois que le métier d’humoriste est une profession noble et ambitieuse mais faut-il savoir ce qu’on a envie de dire et comment l’exprimer. L’intérêt du « moi » c’est quand il est universel sinon ça n’a aucun intérêt. L’auto-psychanalyse ou le story-telling perpétuel sur scène est la négation même de ce qu’est l’expression artistique. Le « moi » doit être un prétexte pour donner une résonance à l’autre.

Et c’est déjà bien plein pour le festival ? 

Oui ça commence, certaines soirées restent encore à remplir mais on sent qu’il y a une envie. Cette bande de garnements tous réunis est un événement un peu unique d’une part, et de l’autre je pense que le public a envie de ça, qu’on puisse se retrouve sans être sous un dictât d’un bruit médiatique qu’on entend. Le besoin de vrai.

Parlez moi un peu de l’affiche.

Le but était de redonner l’identité du lieu avec ces deux ânes, le « théâtre désobéissant », une typographie Art-déco. Le rouge, couleur du théâtre, qui symbolise la révolte et l’idée était vraiment de personnifier ces petits ânes, d’en faire des “Daft Punk” du rire. Ils sourient et donnent envie, la French Touch du rire, un rire populaire mais qui ne fait pas le trottoir. Le but est de rire avec, et non de rire contre.

Que va être l’après-festival ?

La première programmation se lancera avec Constance. Elle partage des valeurs d’indépendance et de désobéissance avec un spectacle de sketchs et de personnages. Il y aura aussi Frédérick Sigrist avec Tout le monde croit que je suis un mec bien et j’y serai avec mon spectacle du jeudi au samedi Citoyen ( en ) marche ou grève. C’est important pour nous que les gens viennent à ces rendez-vous. On veut proposer des spectacles qu’on soit fier de présenter. On veut aussi faire de la pièce de personnages, politiques, sociétales. J’aimerais pouvoir réunir plusieurs humoristes sur des mêmes soirées tout au long de l’année. Arrêter de se retrouver dans le dictât du One Man Show. Ce théâtre désobéissant doit devenir une sorte de référence des seuls en scène à plusieurs.

Photos : portraits officiels et affiche du Festival

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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