Emma Dante : une fête des morts douce-amère
Inspiré des contes du Conte des contes de Giambattista Basile, Emma Dante signe Pupo di zucchero – La festa dei morti. Une fête en demi-teinte entre les vivants et les morts, entre déception et réussite.
Un banquet (trop) peu rassasiant
Le 2 novembre est la fête des morts en Sicile. On y cuisine pour les défunts un banquet somptueux où trône une poupée de sucre (le titre du spectacle). Les morts sont repus, les enfants reçoivent des cadeaux. Les vivants et les morts célèbrent ensemble tout ce qui fait une vie, des plus banals gestes aux grandes déclarations. Emma Dante met en scène un vieil homme esseulé, dont toute la famille a disparu : les trois sœurs (plus légères que chez Tchekhov, mais tout aussi seules), la mère (jouée magistralement par Stéphanie Taillandier), le père, le fils adopté, les cousins éloignés. En un mouvement, un costume, une intonation, ils sont tous campés dans leur différence. On se souviendra longtemps de Sandro Maria Campagna en matador de pacotille, espèce de Matamore échappé de chez Corneille. Mais, entre camper un personnage et en livrer une caricature, il n’y a qu’un pas. Et il faut bien admettre qu’il est souvent franchi pendant la petite heure que dure le spectacle. Sur cette ligne de crête, fragile, ô combien fragile, Emma Dante manque souvent de trébucher, et finit par le faire. Les scènes de pantomime tournent à la mascarade. On est d’autant plus déçu que l’on sait combien elle a élégamment emprunté des chemins bien plus escarpés.
Une fête du sucre bien amère
Un spectacle réussi tient, peut-être, d’une recette que l’on maîtrise, qui devient un plat signature pour parler comme en gastronomie. Force est de constater que tous les ingrédients qui font que le travail d’Emma Dante suscite depuis longtemps notre intérêt sont là. On y retrouve des chants traditionnels italiens polyphoniques, la citation plus ou moins assumée de la pantomime, des blagues potaches, de la musique jouée par les acteurs au plateau. Tout est là dans Pupo di zucchero. Or, tout comme le vieil homme du spectacle devant sa pâte qui ne lève pas, le spectacle ne “prend” pas. Tous les ingrédients, que nous aimons, répétons-le, semblent vouloir tirer à eux le goût le plus fort, le plus prégnant. Bien sûr, quelques fugaces scènes rappellent les meilleurs spectacles de la metteuse en scène napolitaine. Le premier est, sans doute, cette citation drôlissime des chorégraphies des comédies musicales de Broadway : paillettes, perruques, pas de danse de claquette, vocabulaire chorégraphique si facilement reconnaissable. On se laisse prendre au jeu de cette saynète qui amuse autant qu’elle désole, puisqu’elle ne vient qu’appuyer, en contre-point, la solitude du vieil homme. Mais c’est surtout la scène finale qui saisit. Chacun des acteurs jouant les membres défunts de la famille revient en tenant dans ses bras une marionnette le représentant. Mais nous nommes loin, ici, des beaux pantins de Gisèle Vienne dans Une belle enfant blonde. Ces pantins-là sont des momies, des corps décharnés qui ont, littéralement, la peau sur les os. Ils sont exposés au regard, sur ce qui s’apparente tout autant à un vestiaire qu’à un retable. L’image est de cette force rare qui marque l’imaginaire et la mémoire d’un spectateur.
On ressort de ce festin presque nu, sur sa faim. Au contraire des morts conviés à la table, nous n’avons pas trouvé suffisamment à nous nourrir. Mais il reste, pourtant, le goût rare d’un instant presque insaisissable de beauté, de victoire sur l’inexorable marche du temps comme seul le théâtre sait en proposer. Et, au fond, ce n’est déjà pas si mal.
Festival d’Avignon, Gymnase du Lycée Mistral
Jusqu’au 23 juillet à 19H00
Crédit photo © Carmine Maringola