Danse
Thr(o)ugh de Damien Jalet : l’ombre d’une trace

Thr(o)ugh de Damien Jalet : l’ombre d’une trace

24 April 2023 | PAR Nicolas Villodre

En première partie de son double programme Traces, le Grand théâtre de Genève a présenté au Bâtiment des forces motrices la pièce de Damien Jalet, Thr(o)ugh (2016), laquelle fut conçue par le chorégraphe avant Skid (2017).

Les Chênes qu’on abat

À l’origine de ces deux pièces, il y a la notion de danger, vécue par Damien Jalet lors des attentats du 13 novembre 2015. Le danseur révèle dans le programme s’être “retrouvé à moins de trois mètres à droite d’un des terroristes de la rue de Charonne à Paris, lorsqu’il s’est mis à tirer brutalement sur à peu près tout. (…) 19 personnes qui étaient assises dans un café de l’autre côté de la rue [la Belle Équipe] sont mortes pendant que je courais.”

À l’issue de la représentation, Damien Jalet nous a confirmé s’être par ailleurs inspiré de la cérémonie shinto de l’Onbashira qui a lieu tous les six ans et qui consiste à couper seize sapins momi de près de dix tonnes et de les transbahuter le long des cimes jusqu’aux quatre temples situés près de Nagano pour refaire à neuf leurs fondations. Les jeunes gens chevauchant les gros bois morts en jouant les risque-tout au cours de la descente vers le sanctuaire.

Forme canonique

D’où la figure cylindrique inventée par les scénographes Jim Hodges et Carlos Marques da Cruz, qui rappelle celle des arbres élagués et des gueules de fusils d’assaut d’on ne peut plus gros calibre – de près de deux mètres de diamètre. Une peinture de camouflage et des encoches pour mur d’escalade ornent la paroi externe de cette sculpture cinétique pivotant d’abord en sens horaire puis anti-horaire avant de se mettre à rouler vers l’avant-scène mettant en péril les danseurs la chevauchant et le premier rang de spectateurs. L’âme du canon (sa paroi interne) est lisse et auto-éclairée.

L’arme, pointée vers le public, les flashes de lumière voulus par Jan Maertens et les éclats sonores de Christian Fennesz ont de quoi inquiéter. On est loin de la provocation Dada de Picabia et Satie menaçant pour de rire l’auditoire du film Entr’acte inséré dans le spectacle Relâche (1924) des Ballets Suédois. Loin aussi de la performance circassienne de Satchie Noro et Yumi Rigout dans la pièce Vestiges (2021). On pense au tunnel sidéral ou intersidéral de 2001, l’Odyssée de l’espace (1968). Les danseurs investissent le dispositif, arrivant un par un jusqu’à former groupe, évoluant avec fluidité, élégamment vêtus par Jean-Paul Lespagnard. Pour cette partie dansée, Jalet a eu le concours d’Aimilios Arapoglou. On est passé à la varappe. Au final, les danseurs ont mimé l’Homme de Vitruve de Léonard et Shiva créant le monde.

Visuel : Thr(o)ugh, photo : Gregory Batardon, Grand théâtre de Genève.

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Nicolas Villodre

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