Danse
Tatiana Julien dissèque le vivant dans <em>la Mort & l’Extase</em>

Tatiana Julien dissèque le vivant dans la Mort & l’Extase

11 February 2012 | PAR Géraldine Bretault

Dans la continuité de sa première pièce, Ève sans feuille & la cinquième côte d’Adam, Tatiana Julien nous invite à découvrir la Mort & l’Extase. Un moment fort du festival Faits d’hiver.

Quand les danseurs (et amateurs) pénètrent un à un sur le plateau, dans le plus simple appareil, progressant sur leurs quatre membres selon des trajectoires erratiques, nous nous interrogeons d’abord sur la dimension spatio-temporelle : d’où viennent-ils, où vont ils, à quelle époque primitive nous renvoient-ils ? L’éclairage subtil et le silence complet – les frottements des genoux sur la scène sont à peine audibles – nous laissent à notre contemplation et à nos divagations intimes.

Les trois sujets qui entrent à ce moment en scène dissipent pourtant toute suspicion d’animalité : trois hommes eux aussi à quatre pattes portent sur leurs dos un homme nu lui aussi, qui semble d’abord inconscient. Pendant ce temps, cinq danseurs se redressent doucement face au miroir en fond de scène.

Reposant sur cette sorte d’autel humain, le personnage allongé commence à chanter le Stabat Mater de Vivaldi. Les rites auxquels s’adonnent d’autres groupes de danseurs s’inscrivent eux aussi, dans le champ du religieux : incantations comme devant un mur des lamentations, sanglots des pleureuses, mortifications. C’est alors que l’écriture de Tatiana Julien, avec sa patte si réaliste et élaborée, prend toute son ampleur, pour construire un tableau charnel d’une beauté et d’une puissance absolues.  Et dont la force réflexive incarne au plus près de la chair des enjeux politiques et religieux d’une extrême actualité.

Une danse qui pose la question du sens du religieux dans nos vies – ou, par retournement, de la place du corps de l’être humain et de ses émotions viscérales au sein de la religion. Quelle valeur accorder à la ‘petite mort’ de l’extase sexuelle face à la transcendance ? L’extase divine n’est-elle pas irrémédiablement charnelle ? Le plaisir n’est-il que volupté ou cache-t-il invariablement la douleur en son sein ?

Il se pourrait bien que les religions soient toutes condamnées sur l’autel de nos corps vivants. Un spectacle qui nous prend aux tripes et à l’âme, pour nous laisser exsangues, bouleversés.

Visuels © Nina Flore Hernandez

 

 

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Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

2 thoughts on “Tatiana Julien dissèque le vivant dans la Mort & l’Extase

Commentaire(s)

  • JULIEN

    Merci pour ce bel article Géraldine,
    Je serais très heureuse d’avoir vos coordonnées afin de vous faire part de la suite…
    Bien à vous,
    Tatiana Julien

    February 13, 2012 at 0 h 23 min

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