Danse
“Speak Low if you Speak Love”: l’amour aporique de Wim Vandekeybus

“Speak Low if you Speak Love”: l’amour aporique de Wim Vandekeybus

06 April 2016 | PAR Araso

Le festival 100% à la Villette touche à son apogée avec le très attendu “Speak Low if you Speak Love” de l’iconoclaste Wim Vandekeybus. Présenté une première fois au festival de Marseille en juillet 2015, le spectacle d’amour vache n’en finit plus de diviser. Cri plus qu’un hymne à l’amour, il offre indifféremment de purs moments de danse apothéothique et des tunnels d’ennui pour un ensemble qui, inexplicablement, vaut largement le détour. 

[rating=4]

Comme à chaque fois avec Wim Vandekeybus, on sort de son spectacle en ne sachant pas très bien quoi en penser. Capable du meilleur comme du pire, il brouille les pistes et les sentiments. Dans “Speak Low if you Speak Love”, de sublimes moments de danse et d’humour se superposent à des longueurs surexplicatives et urticantes. Dans une esthétique gothico-rock rock délicieusement surannée, les danseurs et danseuses d’Ultima Vez s’affrontent sur fond de musique rock en live, composée et jouée par Mauro Pawlowski et sa bande (seconde collaboration avec Wim Vandekeybus après nieuwZwart – 2009) et sur les éclats de voix de la chanteuse de jazz sud-africaine Tutu Puoane. “Speak low” le mal-nommé: l’amour ici est un cri déchirant et viscéral. Le travail sur la douleur et la souffrance dans l’acte amoureux rappelle furieusement un certain Jan Fabre, avec qui Wim Vandekeybus a débuté.

Le spectacle démarre sur des messages mixtes et joue la confusion des genres (littéralement). On est quelque part entre les contes des mille et une nuits et le Rocky Horror Picture Show. Rajoutez à cette ébauche un défilé performatif de Martin Margiela et le tableau est à peu près complet. Couvert d’un voile en costume de safari, un homme part à la pêche au public.

Après des débuts d’opéra kitsch, l’ambiance est brusquement interrompue par des ballets somptueux au rythme saccadé. Le spectacle se découpe en saynètes qui reconstituent des histoires d’amour célèbres et (très) librement réinterprétées. Les danseurs sont sublimes, d’une générosité absolue. Ils bougent avec une force inouïe, mus par une nécessité vitale. Ils irradient le plateau de leur présence, les corps sont secs, sculptés au laser, les muscles saillants. Ulysse hystérisé est incroyable, drôle, sur-vitaminé malgré une bonne vingtaine de minutes sur scène dans un cercueil en kit qu’on croirait récupéré chez IKEA.

Certes, Wim Vandekeybus n’a pas une conception très heureuse de l’amour: quelques brefs instants hédonistes sont immédiatement étouffés par la violence et la mort. Tout se joue dans une course effrénée, une fuite en avant perpétuelle qui ne laisse aucune place à la poésie. Le contact des peaux est fuyant, on se caresse sans se toucher. Le sexe est omniprésent, moteur vital. Les corps se caressent entre eux, se masturbent, les couples se forment de préférence après un affrontement à mort, des hommes avec des femmes, des femmes avec des femmes, des hommes entre eux et le manège reprend. La maternité, la transmission de la vie s’envisagent dans le morbide.

Malgré tout, on rit (beaucoup) devant cette fille encastrée dans son cerf-volant, la scène de crise en règles d’une cantatrice à bout de nerfs ou l’épisode de strip-tease candide d’une Lolita sauvage. On s’agace de ces sous-titres explicatifs à souhaits qu’on oublie dans des moments imprenables de danse, dont le fameux ballet en robes rouges absolument bluffant. Chez Vandekeybus, l’amour est un esprit qu’on invoque: surtout, ne prononcez pas son nom trop fort, de peur qu’il ne débarque et ne saccage tout sur son passage. Une fois en marche on ne pourra plus l’arrêter. Un peu comme Wim, et c’est pour ça qu’on l’aime.

Visuels © Danny Willems

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