Danse
Shechter et Eyal imposent leurs rythmes à la GöteborgsOperans Danskompani

Shechter et Eyal imposent leurs rythmes à la GöteborgsOperans Danskompani

05 May 2022 | PAR Amelie Blaustein Niddam

La Grande Halle de la Villette accueille ces jours un double programme 100% israélien, programme porté par l’exigence de ce ballet suédois. Une soirée qui croise la pop culture et les mythes orientaux. Électrique.

Pourquoi associer Sharon Eyal & Hofesh Shechter ? Ils sont tous les deux passés par la Batsheva, la compagnie d’Ohad Naharin. Sharon Eyal en a même été la directrice. De leurs origines, ils insufflent tous les deux des courbes et des cambrures archétypales des danses juives de Mittleuropa. Ils sont, tous deux, stars de la danse contemporaine. Ils ont tous les deux des pièces qui sont au répertoire de l’Opéra de Paris et ont été très souvent montrés en France. Le lien s’arrête là. Sharon Eyal travaille à Jérusalem, Hofesh Shechter à Londres. Lui danse ancré au sol, elle flirte toujours avec le ciel.

La soirée est divisée en deux ; d’abord, Contemporary Dance dans sa version de création. Vous le savez si vous nous suivez, Hofesh Shechter a présenté il y a quelques semaines le même spectacle dans une version modifiée pour sa jeune troupe, enragée, Schechter II. L’écriture d’Hofesh y est limpide, il s’en amuse ici, en espérant tout de même que cela nous “rappelle quelque chose”. 

Contemporary Dance  commence brutalement, tout de suite en mouvement. Il n’y a pas le temps d’attendre, il y a urgence à se montrer. La composition se met en place : la meute, les individus, les duo, les quatuors… Cela se passe à 120 BPM, dans une bande-son composée, comme toujours, par le chorégraphe lui-même. Cette fois-ci, pendant tout un temps, le tempo est impossible. Pourtant, eux gardent le rythme. Les têtes balancent, les mains cherchent et montrent le ciel, convoquent, appellent. Les bassins sont décisionnaires et exigent des déroulés orientaux. Comme d’habitude, la chorégraphie mixe des bras baroques, technos ou hassidiques. Le danser pop est partout, dans des lignes en petits pas binaires et dans les allusions claires au geste de la tête de Mickaël Jackson.

Il faut néanmoins avouer que la propreté du corps de ballet ne rend pas service à la grammaire Shechter. La troupe est précise.

De formation classique, ils et elles viennent du monde entier. Ils et elles sont des danseurs et des danseuses virtuoses et pour entrer dans l’écriture viscérale de Hofesch il faut arriver à se libérer de la beauté pure. Malheureusement, ce moment là n’est pas encore arrivé, n’a pas eu le temps d’arriver. Écrite en 2018, la tournée de la pièce 2019 s’est arrêtée nette à cause du Covid. Hier, c’était la première fois que le ballet dansait cette pièce, de façon impeccable, mais justement, peut-être encore un peu trop lissée.

En revanche, tout change avec Saaba, la création de Sharon Eyal. Pour cette pièce la troupe a eu le temps de faire corps commun et justement de gagner en animalité… sans perdre en technique. Comme toujours, Sharon Eyal met les danseurs et les danseuses sur demi-pointe, le dos super cambré. La posture est déséquilibrée, ardue. Elle est la base de toute son écriture. Celle qui travaille beaucoup avec Maria Grazia Chiuri de la Maison Dior pour les défilés, pare les corps d’académiques en dentelles, couleur chair. Ils et elles ont l’air à la fois archaïques et futuristes. Tout commence avec un solo de Miguel Durarte, tout en cheveux en en barbe. Sa partition est une ondulation, sexy en folie. Saaba convoque évidement les milles et nuit, mais dans ces milles et une nuit là, la fête s’invite, électrique, électronique. La bande-son vous intime l’ordre de danser. Eux, désormais de plus en plus nombreux, défilent plus qu’ils ne dansent, comme des poupées ou des pantins qui défilent sur des tapis d’usines mécaniques. Eyal s’amuse à le croiser et à les décroiser comme sur un podium, de club ou de mode, cela dépend. Le mouvement change, les pieds se posent un peu et les bras frappent le rythme avant d’entrer à nouveau dans leur posture aride. Ils font corps commun, un seul corps, multipliable à l’infini.

Dans le travail d’Eyal, le genre est aboli tout en différenciant les hommes et les femmes, qu’elle fait bouger en deux groupes souvent bien séparés. Et pourtant, les courbes et les lignes sont les mêmes pour tous et toutes. C’est très puissant. 

Une très belle soirée qui nous rappelle la réalité du monde d’avant. Un chorégraphe venu de Londres, une autre venue de Jérusalem et un ballet suédois, tous et toutes réunis à Paris. On avait presque perdu l’habitude !

Jusqu’au 7 mai à la Grande Halle de La Villette. Informations et réservations ici.

Visuel : ©Tilo Stengel

 

 

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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