Danse
<em>Progénitures</em> de Tal Beit Halachmi : une puissante lecture du texte de Guyotat

Progénitures de Tal Beit Halachmi : une puissante lecture du texte de Guyotat

18 February 2013 | PAR Géraldine Bretault

Parmi l’éclectique programmation de Faits d’hiver, qui fait la part belle aux chorégraphes féminines, nous découvrons ce soir le solo de la danseuse et chorégraphe d’origine israélienne, Tal Beit halachmi, inspiré par un ouvrage de Pierre Guyotat, Progénitures (2000).

La littérature de Pierre Guyotat prend souvent une autre dimension à travers la diction, tant son maniement de la langue est indéfectiblement lié aux fonctions vitales du corps. Qu’on en juge en l’écoutant lire des extraits de Progénitures. De fait, il nous revient en mémoire la puissante interprétation de Patrice Chéreau, qui disait à l’automne Coma, sur une mise en scène de Thierry Thieû Niang.

Quand nous entrons dans la salle du théâtre de la Bastille, le rideau est levé, et nous distinguons une drôle de structure métallique rouge, dont les tentacules sont constituées de barreaux d’échelle. À l’avant-scène, un micro. C’est là que vient se placer Tal Beit Halachmi, d’un pas décidé, vêtue d’un costume couleur chair, corsetée, et chaussée de hauts talons. Dès le premier souffle, la puissance de sa voix presque masculine est saisissante. Disons-le tout de suite, c’est l’éblouissante lecture de Tal Beit Halachmi qui emporte tout sur son passage, faisant définitivement basculer le solo vers la performance. Rarement aura-t-on entendu une lecture aussi maîtrisée, exsudant par tous les pores de son interprète. D’autant que le texte de Guyotat est d’une force terrible, se taillant un espace propre dans une langue tordue, dépouillée, convulsée.

Alors que la diction de Halachmi nous fait peu à peu entrer dans le texte, à notre corps défendant tant la matière est poisseuse, son bras commence à s’élever lentement, elle retire ses talons, puis, tordant le micro, s’allonge au sol. À partir de ce moment, son corps sera de la partie, après qu’une reptation sur le dos l’aura conduite au cœur de la structure métallique. Si Halachmi compare cette forme aux araignées de Louise Bourgeois, elle n’en a pas la fragilité, bien ancrée sur ses barreaux d’échelle. Mais c’est qu’il fallait une structure stable pour résister aux assauts de la chorégraphe, qui s’empare de l’espace sans interrompre sa lecture, et se suspend aux barreaux métalliques. Quand elle cesse un instant de parler, les bruits de son corps prennent le relais, dans un moment d’une tension à peine soutenable : Halachmi inspire et expire bruyamment dans un tuyau qui amplifie le son jusqu’à la suffocation. Dans ce qui résonne comme un cauchemar éveillé, elle éructe les mots taillés à la serpe de Guyotat, où certaines figures reviennent hanter l’auditoire – le frère, l’enfant, la mère, sources d’effroi.

Si l’on peut regretter un parti pris esthétique au baroque superflu – l’ensevelissement sous la terre, le crâne des vanités -, la pièce conserve une aura indéniable, et laisse une empreinte puissante sur ceux qui parviennent à la traverser avec leur interprète.

 

« Progénitures de Pierre Guyotat m’habite profondément.Comme une des figures de ce texte, je me mets à la disposition de son univers ; il ne faut avoir aucun ego ni fierté, mais un entier engagement, physique aussi. Seul ce texte me porte, lui aussi. Il me porte car il me dépasse ; il est d’une grandeur incroyable, et d’une poésie intense. L’interprétation du texte est donc une heureuse expérience, car on touche à quelque chose de colossal, et le corps, celui d’un danseur, s’épanouit dans les possibilités qui s’ouvrent à lui. »         Tal Beit Halachmi

 

Crédit photographique © Pascale Vanneau

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Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

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