Danse
Pays de Danses 20 : 50 nuances très #Portugal ! (Entretien avec Pierre Thys, le directeur adjoint du Théâtre de Liège)

Pays de Danses 20 : 50 nuances très #Portugal ! (Entretien avec Pierre Thys, le directeur adjoint du Théâtre de Liège)

07 February 2020 | PAR Sylvia Botella

Pour une nouvelle édition de Pays de Danses 2020 : comment le Théâtre de Liège – Centre scénique de la Fédération Wallonie – Bruxelles réinvente t-il la relation du spectateur.trice à la danse avec un focus Portugal et une collaboration stimulante avec les Centres culturels de la Province de Liège ?! À cette occasion, nous avons rencontré Pierre Thys, le directeur adjoint du Théâtre de Liège et programmateur de Pays de Danses.

 

Pierre Thys © Anne Valentine Gillard

Soirée Hans Van_Manen In the Future © Companhia Nacional Bailado © Hugo_David © Pays de Danses

C’est la huitième édition de Pays de Danses. Revenons au début !

Lorsque Serge Rangoni crée Pays de danse en 2006, il a une idée en tête : proposer une programmation de danse à spectre large. Le pluriel dans « Pays de Danses » est important. Nous souhaitons aborder tous les styles de danse : des danses urbaines jusqu’à la danse néoclassique en passant par la danse contemporaine ou la danse folklorique (ou de tradition). C’est à l’image du Théâtre de Liège qui programme aussi bien On s’en va de Hanokh Levin mis en scène par Krzysztof Warlikowski que Cyrano de Bergerac de Edmond Rostand mise en scène par Thierry Debroux.

La singularité de Pays de Danses tient également à l’élaboration d’un réseau de programmation avec les Centres culturels de la Fédération Wallonie – Bruxelles (FWB), ceux de la Province de Liège en particulier. Nous élaborons collégialement une programmation. Ce qui signifie que le Théâtre de Liège n’impose pas sa vision à ses partenaires. Nous sommes dans une relation de réciprocité. Nous tenons compte des spécificités de chacun.e liées aux territoires, aux populations et aux axes de programmation. Par exemple, le Centre culturel de Huy programme des spectacles de danse durant la saison. Nous pouvons donc nous montrer plus audacieux en termes de formes dans notre co-présentation. Cette année, nous co-présentons Brother du chorégraphe et danseur Marco da Silva Ferreira, le chef de file de la nouvelle garde chorégraphique portugaise. Parfois, nous faisons des voyages de prospection à l’étranger avec les directeur.trice.s des Centres culturels partenaires afin de vérifier le sens et la cohérence de nos choix. Le partenariat Théâtre de Liège / Centres culturels permet de mixer une programmation plus éclectique et des publics plus diversifiés.

En 2020, après la Corée du Sud, l’Argentine et l’Afrique du Sud, Pays de Danses met en lumière le Portugal. Qu’est-ce qu’elle a de plus la création chorégraphique portugaise ?
Le Portugal est un pays étrange, fascinant. À l’instar de la Grèce, de l’Espagne ou de l’Italie, le Portugal a connu une crise socio-économique et politique importante. Mais il a su y répondre de manière incroyable. Le gouvernement portugais – qui est encore de gauche aujourd’hui – a su rompre avec l’austérité tout en réduisant le déficit public. Même si la situation demeure instable aujourd’hui, on peut noter un dynamisme économique intéressant ; dynamisme qui semble contaminer les artistes portugais. On perçoit en effet une sorte d’émulation au sein de la création chorégraphique et théâtrale portugaise. Tiago Rodrigues – pour ne citer que lui – est un des metteurs en scène les plus importants sur la scène internationale actuellement.
Mon désir était de pointer la singularité des chorégraphes portugais émergents tels que Marco da Silva Ferreira ou Anaísa Lopes alias Piny. Ils n’ont pas suivi une formation initiale en danse contemporaine. Ils viennent des pratiques des danses urbaines qu’ils ont apprises – non pas dans les studios – mais directement au contact des praticien.ne.s sur les marches du Théâtre Municipal de Porto ou du Centre culturel de Belém à Lisbonne. Ils ont élaboré un vocabulaire de danse spécifique, original sur la base d’une formation de danseur de hip hop mais pas seulement. Par exemple, Marco da Silva Ferreira s’intéresse aussi aux danses tribales africaines, au Pantsula sud-africain et au Voguing des années 1980. Son style est unique.
Diversifier les publics a toujours été une de nos principales préoccupations au Théâtre de Liège. Il est important d’amener de la diversité sur les plateaux. Et ça l’est d’autant plus, que la diversité sur le plateau entraine sans son sillage la diversité dans la salle. Force est de constater que la danse portugaise est très marquée par la diversité. Même si c’est le triste produit de l’histoire, on sent la présence des anciennes colonies dans les distributions des jeunes chorégraphes portugais : Angola, Mozambique. Par exemple, la chorégraphe Catarina Miranda (Porto) travaille avec le danseur d’origine angolaise André Cabral dans Dream is the dreamer. La chorégraphe et danseuse Piny (Lisbonne) est mi-portugaise, mi-angolaise. La chorégraphe et danseuse capverdienne Marlene Monteiro Freitas est basée à Lisbonne. C’est moins le cas de la danse en Belgique. Les distributions sont marquées par une diversité essentiellement européenne. La diversité culturelle est-elle à relier aux cultures urbaines ? C’est une bonne question. En tout cas, la question de la diversité culturelle m’interpelle profondément.

Cette année, le festival a ouvert avec b4 summer de la jeune chorégraphe montante belge Mercedes Dassy. Et trois ballets majeurs du maître hollandais de la danse néo-classique Hans Van Manen dansés par la Compagnie Nationale de Ballet du Portugal. Deux générations, deux esthétiques très différentes. Comment vous est venue l’idée de les réunir ? Y a t-il une continuité ?
Il n’y a peut-être pas un continuum. À nouveau, le ton est donné dans le pluriel de « Pays de Danses ». Il donne son sens et toute sa cohérence à notre programmation. À l’ouverture du festival, nous essayons toujours de présenter une grande forme fédératrice d’une grande compagnie internationale dans la grande salle – deux dates, et plus de 1000 spectateur.trice.s. Et une forme plus émergente d’une compagnie de la FWB dans la petite salle de 145 places.

Justement, standing ovation pour le programme Hans Van Manen : un étrange mélange de lyrisme formel et de culture pop acidulée. Ce qui corrobore bien le revival ballet. Comment l’expliquez-vous ?
Les plateaux belges francophones sont dominés par la danse contemporaine. La danse néoclassique a totalement disparu. Certes, le Ballet de Flandre présente des pièces néoclassiques mais elles sont peu diffusées en Belgique francophone. Cela fait plusieurs années que je me dis que la danse néoclassique doit revenir à l’affiche de Pays de Danses. Et le public le réclame de plus en plus. Sans doute parce que pour beaucoup, la technique de la danse classique n’a que peu d’équivalents dans la danse. La plupart ignorent en effet qu’il existe une technique de la danse contemporaine. Mais quelle pièce de danse programmer ? Certes, quelques compagnies russes – un peu « nébuleuses » – se produisent à Bruxelles. Elles existent, elles attirent du public. Et c’est tant mieux ! Mais en tant qu’expert et programmateur au Théâtre de Liège, leurs propositions ne me satisfont pas en termes de qualité. Elles n’ont pas la grandeur ni le génie du Ballet de l’Opéra de Lyon ou de la Compagnie nationale de Ballet du Portugal.
Notre choix s’est arrêté sur Compagnie nationale de Ballet du Portugal. À un moment, nous avons songé à présenter un programme William Forsythe. Mais nous avons vite abandonné l’idée pour des raisons financières. Sofia Campos la directrice artistique de la Compagnie nationale de Ballet du Portugal, m’a alors proposé de présenter un programme Hans Van Manen. Je connaissais la pièce Adagio Hammerklavier (1973) mais pas Short Cut (1999) ni In the Future (1986). Et lorsque je les ai découvertes, c’était pour moi une évidence. La danse est excessivement bien écrite et interprétée. La danse néoclassique est bel et bien vivante. La pièce In the Future enthousiasme les foules !

À l’évidence, Pays de Danses semble combler le fossé d’incompréhension et de scepticisme qui sépare parfois en Belgique francophone les programmateur.trice.s des Centres culturels des propositions chorégraphiques en danse contemporaine. Le festival collabore en effet avec les Centres culturels de Chênée, Huy, Engis, Welkenraedt, Verviers, Liège – Les Chiroux. Comment est-ce possible ?
Serge Rangoni a débuté ce travail de longue haleine en 2006. Et il n’en a jamais démordu. À chaque édition du festival, nous maintenons le lien, nous poursuivons les discussions avec les Centres culturels. Les échanges sont parfois complexes parce que nous – le Théâtre de Liège et les Centres culturels – n’avons pas les mêmes préoccupations ni les mêmes exigences en termes de territoires, de populations, etc. Et elles ne sont pas les mêmes au Centre culturel de Welkenraedt et au Centre culturel de Engis ou au Centre culturel de Huy et au Centre culturel de Verviers. Mais à un moment donné, nous parvenons à un juste équilibre entre les diverses spécificités et nécessités. À l’exception du partenariat qui est en train de se mettre en place entre Central – La Louvière et certains Centres culturels wallons, on peut affirmer que Pays de Danses est l’unique collaboration récurrente entre un Centre scénique et le secteur des Centres culturels en FWB. Après, le nombre des Centres culturels partenaires fluctuent selon l’édition. Et nous continuons toujours de chercher des nouveaux partenaires. Cela faisait longtemps, par exemple, que le Centre culturel de Welkenraedt n’avait pas été partenaire du festival. Cette année, nous avons co-présenté le Tremplin Danse Hip Hop #3 ! C’était réjouissant. Le public était extrêmement diversifié, très familial. C’est encourageant. Mais cela a nécessité beaucoup de travail en amont. La directrice du Centre culturel de Welkenraedt Benjamine Huyghe et son équipe ont dû véritablement batailler pour faire venir 300 personnes.
Certes, le public n’est jamais acquis ! Mais dire qu’il n’y a pas de public pour la danse, c’est faux. Il faut aller le chercher. À nouveau, cela exige beaucoup de travail. Et de pédagogie aussi. Isabelle Collard, la responsable de la coordination du service pédagogique et du développement des publics au Théâtre de Liège accomplit un travail colossal et très minutieux. Elle commence à travailler avec des groupes de 12 personnes. 6 se déplacent, puis plus. Et ainsi de suite.
L’ouverture de Pays de Danses était jubilatoire. Le public était nombreux, enthousiaste et très varié : des jeunes, des plus âgés, des amateurs de danse, des esthètes d’art contemporain. Tous.tes étaient connecté.e.s à l’univers esthétique de Hans Van Manen. Sans cocorico, je pense que Liège est une des villes wallonnes les plus dynamiques culturellement. Elle dispose des outils nécessaires : un opéra, un festival de théâtre, une université, un grand théâtre, etc. Tout cela crée un tissu de leaders d’opinions qui favorise la fréquentation. Le Théâtre de Liège a un club d’entreprises. 17 entreprises – engagées a priori pour 3 ans – financent la création artistique et les projets de médiation à hauteur de 10 000 euros chacune et par saison. Soit un apport total de 170 000 euros.

Comment peut-on rendre la danse contemporaine plus populaire sans tomber dans l’ornière populiste ?
Le public a du mal à identifier la discipline. Il éprouve une forme de peur. Parce qu’il pense à tort que la danse contemporaine à l’inverse de la danse classique n’a pas de technique. Ce préjugé a la peau dure ! À nouveau, vaincre les clichés et les peurs nécessite beaucoup de travail. Mes collègues et moi sommes en pré-festival dans les écoles, les associations pour présenter la programmation de Pays de Danses et expliquer ce qu’est la danse contemporaine. À force de faire un travail de médiation, les publics finissent par devenir curieux. Une chose est certaine, lorsqu’ils « mordent », ils reviennent.
Je ne suis pas prêt à présenter tout et n’importe quoi à n’importe qui. Ça n’a aucun intérêt. Les spectacles sont choisis en fonction de groupes préconstitués. Pour la pièce b4 summer de Mercedes Dassy, Isabelle Collard a travaillé avec une classe de l’Athenée Maurice Destenay – établissement secondaire à discrimination positive – à Liège constituée – sans stéréotype aucun – par une majorité de jeunes filles voilées. Je pense qu’aujourd’hui, il faut avoir un discours complètement différent sur le port du voile qui est moins un stigmate religieux qu’un marqueur d’identité culturelle. Bien sûr, ça se discute. Ces jeunes filles ont découvert avec intérêt le travail de Mercedes Dassy qui a un discours féministe qui déborde le cadre. Son corps est hyper-sexualisé, provoquant. Ces mêmes jeunes filles avaient choisi de voir le spectacle ({:}) Imprononçable, transgressif et particulièrement engagé, au Festival Émulation en 2019. Et elles y avaient trainé les garçons de leur classe. Nous avançons, c’est certain. Mais cela nécessite du temps, du travail, et des équipes.

Quelle est la danse que nous allons partager ensemble au Festival Pays de Danses ?
Pour la huitième édition du festival, les spectateur.trice.s pourront découvrir la pièce de danse Weg de Ayelen Parolin créée à la Biennale de Charleroi Danse en 2019. Son parcours s’affine, son écriture se radicalise tout en touchant de plus en plus de publics et de professionnels. Weg est coproduit notamment par Tanz Im August / HAU Hebbel am Ufer. Cocorico pour nos artistes de la FWB !
Autre moment fort de Pays de Danses 2020 : le retour de la chorégraphe sud-coréenne Eun-Me Ahn qui avait enflammé le festival avec la pièce Dancing Grandmothers en 2014 ! Elle clôturera le festival avec sa dernière création North Korea Dance qui traite de la reprise récente du dialogue entre les deux Corée ; une pièce symboliquement et politiquement très délicate qui a engendré beaucoup de polémiques lors de sa création à Séoul. Mais fort heureusement, le Coréen a par nature beaucoup d’humour et aborde le sujet avec beaucoup de distance.
Nous continuons de revendiquer notre attachement à la Danse jeune public. La chorégraphe belge Caroline Cornélis présentera sa nouvelle création Llum. Et nous nous réjouissons bien sûr de mettre à l’honneur le Portugal et sa jeune garde chorégraphique désireuse de vivre dans un monde plus libre, sans frontières !

 

Check : Pays de Danses 2020 du 30/01 au 21/02

L’agenda du week-end du 7 février 2020
George Benjamin : « La musique est peut-être l’art le plus abstrait et pour moi c’est l’art le plus profond»
Sylvia Botella

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration