Danse
Onironauto, la nouvelle chorégraphie somnambule de Tânia Carvalho au Carreau du Temple

Onironauto, la nouvelle chorégraphie somnambule de Tânia Carvalho au Carreau du Temple

21 February 2023 | PAR Eleonore Carbajo

Dans le cadre du Festival Faits d’hiver, le Carreau du Temple a reçu la chorégraphe portugaise Tânia Carvalho, pour une représentation onirique à guichets fermés. Forte d’un répertoire conséquent à son actif, la chorégraphe et musicienne nous fait voyager au pays des rêves… ou peut-être plutôt des cauchemars ? À vous de trancher !

À quatre mains et à deux pianos

Dès l’entrée dans la salle de spectacle, on ne sait pas vraiment si la performance a déjà commencé ou si elle nous attend pour le faire. Sur scène, deux pianos à queue se font face. Ils semblent emboîtés l’un à l’autre, prenant place massivement sur toute la moitié gauche du parquet. Andriucha, pianiste charismatique vêtu d’une longue robe à traîne aux couleurs délavées, s’entraîne à son piano, presque dos au public, répétant gammes et traits difficiles d’une partition chopinienne, et griffonnant la partition d’annotations au crayon à papier dans le brouhaha d’un public impatient de découvrir la création. Pas de démarcation donc entre l’avant spectacle et le commencement de ce dernier, mise à part la lumière qui s’éteint progressivement, le bruit des spectateurs qui s’apaise lentement ; l’endormissement se fait au rythme du piano, et de l’inlassable ritournelle virtuose. Tânia Carvalho fait son entrée sur scène, pour s’asseoir sur le tabouret de son piano : débute alors cet impressionnant 4 mains sur 2 pianos, fil conducteur de la performance. On reconnaît çà et là des bribes de Chopin, qui se mêlent étonnamment bien avec les compositions personnelles de la musicienne.

Un évanouissement nocturne embelli par des créatures oniriques

Un coup d’œil au dictionnaire pour se remémorer la définition exacte d’un “onironaute” : « individu qui cherche à vivre des rêves lucides ». Là est l’ambition de Tânia Carvalho, qui nous prend par la main en construisant sous nos yeux un songe, une narration onirique et fantasmagorique où la frontière entre rêve et réalité est poreuse.

Dans un sursaut, l’irruption des danseurs un à un sur scène signale l’endormissement tangible mais encore fragile et incertain du public ; ce moment précis où le réel s’échappe, laissant place à un champ des possibles élargi. Sept danseurs et danseuses, habillés de justaucorps délavés teintés de folie, à l’aspect délabré, tels des sceptres aux teints pâles, mais aux traits vigoureusement mis en valeur du fait d’un maquillage carnavalesque. Les tenues de ces créatures oniriques laissent transparaître la musculature impressionnante des interprètes.

Au rythme des deux pianos, les danseurs semblent s’échauffer, l’imaginaire est transporté dans un studio de danse, où chaque danseur classique s’échauffe dans sa bulle, enchaînant les positions de base du répertoire classique, bras en couronne et pointes, comme un clin d’œil à la formation classique de Tânia Carvalho. Mais toute l’ambition de la création est de mêler les deux univers de l’artiste en une chorégraphie hybride qui mêle des bribes des codes classiques sur un support contemporain. Le Pas de trois du Lac des cygnes se transforme en une déambulation synchronisée aux allures presque cauchemardesques, dessinant des diagonales dans l’espace scénique.

L’occupation de l’espace joue un rôle central dans les compositions de la chorégraphe. Les mouvements se synchronisent en duos ou en trios ; toute la beauté de la performance tient en cette juxtaposition de duos, où les interprètes ne sont pas placés côte à côte. De ce fait, les binômes se forment et se déconstruisent dans le même mouvement. Impossible pour le spectateur de comprendre la logique des liens qui fédèrent dans la chorégraphie différents danseurs. La chorégraphie se meut parfois en danses macabres, lors de rondes où chaque danseur dévoile une nouvelle facette du rêve.

Le réveil d’un public somnambule

Une chorégraphie chimérique où le beau frôle l’imaginaire, et où le frénétique se mêle au sursaut. On passe de gestes lents, réconfortants accompagnés de mélodies de Chopin au piano, à un imaginaire qui déraille, qui s’emporte, bercé par les compositions de la musicienne et par l’interprétation des deux pianistes. Le final : un fracassant martèlement des touches des deux pianos, dans un tumulte assourdissant où les créatures prennent pour la dernière fois possession du corps du rêveur, avant que l’univers onirique prenne fin.

On gardera en tête les propositions fortes de ce spectacle, les visages et costumes des danseurs teintés de magie, comme le mirage de l’évanouissement nocturne dont les artistes comme le public ont fait l’objet durant cette performance.

À la fin du spectacle, on se pince gentiment le bras pour vérifier si l’on rêve encore. Juste pour vérifier. Heureusement, les applaudissements et les saluts des artistes nous signalent bel et bien la fin de ce songe chorégraphié et poétique.

Visuel : Rui Palma

L’agenda classique et lyrique de la semaine du 21 février
« Le cœur au bord des lèvres » : un portrait mosaïque de la chanteuse Asmahan
Eleonore Carbajo

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration