Danse
“Nelken”, le Tanztheater Wuppertal affronte la saleté du monde dans la douceur des oeillets

“Nelken”, le Tanztheater Wuppertal affronte la saleté du monde dans la douceur des oeillets

13 May 2015 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Nelken, créé le 30 décembre 1982 à l’Opéra de Wuppertal, et les célèbres Œillets de la regrettée Pina Bausch, disparue en 2009, s’emparent d’un Châtelet complet.


Des danseurs en robes de soie ou en costumes croisés apportent sur un lit d’œillets leurs chaises. Leurs fauteuils pour être juste. Car ici, nous sommes chics et confortables prêts à regarder en face et tendrement ce qui fait le monde : sa saleté et sa beauté, sa générosité et son âpreté, le tout, le plus souvent dans une fusion.

Pina est morte. Cela reste impossible à avaler tant elle manque. Pourtant, le deuil a fait son travail et revoir ses pièces six ans après n’est un acte ni nostalgique ni mémoriel.

Nelken est peut-être la pièce symbole de la longue dame. Peut-être parce que l’image de cette accordéoniste sur le parterre a fait le tour de monde. Peut-être aussi grâce au travail incroyable de filiation et de transmission que fait le Tanztheater Wuppertal. Beaucoup ont vu et tous parlent.
Au Châtelet, en partenariat avec le Théâtre de la Ville, le public, justement, ne parle que de ça : « C’est ma quatrième fois », « Je l’ai vu à Lyon », « Je l’ai vu à la création », « C’est la première fois ».

Alors comment dire sans raconter, sans décrire. Le fil de cette pièce c’est le rythme des saisons. Nous sommes au Printemps, le rose des fleurs le suggère, c’est à dire, après une période très froide et avant une autre trop chaude. C’est l’instant où dans le monde rien ne va, cela est peut-être un peu confortable.

Pour dire les rapports humains, Pina a changé les rôles, habillant les hommes en robe de soie et a invité des cascadeurs à intervenir au milieu des danseurs, voir, par dessus les danseurs.

On joue ici comme des enfants, à 123 soleil. On joue à être fort en disant « Qu’est ce que vous voulez voir ? Je peux le faire ! ». On se contraint à l’autorité qui nous hurle : « Passeport », et l’on abaisse son pantalon dans une image qui nous ramène à la Shoah.
Mais avec Pina, si la violence est amère elle n’est ni acide ni invalable. Elle passe en un geste que l’on ne voit pas venir et qui aura fait jaillir les seize danseurs dans des chorégraphies à la physicalité époustouflante. On pense à cette scène où tous s’assoient et se relèvent dans un flux continu, toujours l’air de rien.
Ils nous parlent eux, ils crient, rient, se plaignent de n’aimer ni les oranges, ni le fait d’avoir mal aux pieds.
Ils nous emmènent avec eux dans cette grande illusion qui est celle que nous vivons à l’aide du geste bauschien par excellence : celui qui les fait parcourir, le plateau ou la salle, en ligne et en répétant des gestes simples, que l’on s’empresse d’imiter.

Douceur et dérision sont ici les clés d’une meilleure compréhension de l’autre, volontiers aimé. Les rapports de pouvoir sont partout dans un découpage d’oignon comme dans une course à faire peur à la « encore » jeune et fraîche Valérie.

Nelken est l’œuvre symbole de Pina Bausch car elle concentre en une tige toute la veine de son travail : interrogations, noirceur, friction des rapports entre les sexes, le tout bien enveloppé d’une fine pellicule de tendresse.

Nelken est un chef-d’œuvre qui vous promène du rire aux larmes car il vous fait vous regarder en face et donne envie de chanter cela en langue des signes à l’homme que l’on aime :


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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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