“miramar”, le retour aux fondamentaux de Rizzo
Le roi de l’écriture angulaire tape fort avec l’arrivée à Paris d’une nouvelle création qui “tourne le dos” à toute facilité. Un chef d’œuvre d’écriture chorégraphique, dansé avec technique, beauté et physicalité. A voir dans le cadre de Séquence Danse au Centquatre jusqu’au 14 avril.
Filiation
Cela fait un moment que l’on suit à la trace les lignes droites de l’actuel directeur du Centre Chorégraphique de Montpellier. Depuis sa disparation des corps dans Soit le puits était profond, soit ils tombaient très lentement, car ils eurent le temps de regarder tout autour, en 2005, exactement. Depuis ce moment, les pièces souvent parfaites proposaient différents aspects : la lenteur dans L’oubli toucher du bois, l’adolescence dans Sakinan göze çöp batar, les danses pop dans le triptyque d’Après une histoire vraie, Ad noctum et Le syndrome Ian et, récemment, la Maison fantôme. Et nous revoici, dix-sept ans plus tard, le décor en moins, l’expérience en plus.
Vania Vaneau attaque seule, face à un lever de rideau allégorique offert par un plafond de lumières toutes mobiles, une sorte de robot lumineux, qui permet des oscillations jusque-là inédites dans le spectacle vivant. Elle commence par définir son espace de jeu avant d’étendre son geste. Son corps devient carré, seules les mains s’ouvrent, mais les genoux cherchent la flexion, le torse est attiré par la gravité. La danse s’installe, devient généreuse. C’est le moment pour les dix autres de faire leur entrée. Youness Aboulakoul, Nefeli Asteriou, Lauren Bolze, Lee Davern, Fanny Didelot, Nathan Freyermuth, Pep Garrigues, Harris Gkekas, Anne Vanneau et Raoul Riva sont dos à nous et resteront majoritairement dos à nous. Cela permet à la pièce d’inverser l’adresse au public et d’insister encore plus que de raison sur les dos que Rizzo aime raides et solides.
En marche
Dans cette pièce dont le titre, écrit en minuscules, miramar veut dire en espagnol “face à la mer”, l’horizon est bouché. Sur cette plage bondée, on marche, on se croise. Et, à l’occasion, on y fait des rencontres, même des rencontres amoureuses, qui conduisent à des plans à trois totalement imbriqués, sans aucun espace pour respirer. Parfois, certains s’échappent à toute allure, comme s’ils avaient attendu de ne plus être vus. Les diagonales sont alors rompues par des pas de côté aux ouvertures à angle droit avec le sol. Rizzo s’amuse de contrepoints qui obligent les danseurs à contraindre leur marche naturelle. Il brouille, comme il le fait depuis qu’il écrit de la danse, nos axes de vision. Les dos sont droits, les membres raides, les pliures sont là pour amener de la brutalité dans le corps, aucune rondeur. Et pourtant, tout cela est fluide, l’écoute entre les danseurs et les danseuses est totale, on dirait du jazz, la musique de leurs corps ensemble, hein, pas la danse. Et pourtant, encore une fois, rien n’est jazz. Il n’y a pas d’improvisation, la bande son de Gerome Nox est comme en 2005 super rock, même si les nappes techno s’invitent au fil de l’eau.
Avec miramar, Christian Rizzo ne se remet pas en question, il ne cherche pas à faire la révolution, il ne cherche pas à raconter une histoire. miramar est une étude chorégraphique qui vous avale comme une marée haute. Brillant.
A noter, même créneau, autre chef d’œuvre : Romances Inciertos de François Chaignaud et Nino Laisné se donne également dans le même festival jusqu’au 14 avril.
Visuel : ©Marc Domage