Danse
L’Opéra Garnier placé sous bonne étoile

L’Opéra Garnier placé sous bonne étoile

18 April 2017 | PAR Marianne Fougere

Jusqu’au 13 mai, et à l’occasion de leur entrée au répertoire, l’Opéra Garnier propose de (re)découvrir des pièces majeures de Merce Cunningham et William Forsythe. Un programme époustouflant de modernité.


[rating=5]

Si les derniers jours printaniers ont remis un peu de douceur dans le quotidien et de couleur dans les rues de la capitale, un vent de fraîcheur souffle dans les coulisses de l’Opéra Garnier. Fraîcheur vraiment ? Les trois pièces qui font leur entrée au répertoire ne datent, en effet, pas d’hier. Et pourtant, elles frappent par leur radicale modernité.

La soirée commence donc par Walkaround Time, créée en 1968 par Merce Cunningham. Vibrant hommage à Marcel Duchamp, la pièce emprunte au surréaliste ses mots et ses techniques. Ainsi, la première séquence, dans un décor reproduisant sur des structures gonflables Le Grand Verre, se veut être un véritable ready made chorégraphique. Dans des justaucorps rappelant l’imaginaire Teletubbies, les danseurs vont et viennent par deux, par trois, …, ou en solo, leurs gestes se glissant dans les pas qui, sur la bande son, traversent non pas le plateau mais un tapis de graviers. Inspirés du passage obligé de l’échauffement, les mouvements sont posés avec une extrême précision ; interrompus une première fois, ils sont un peu plus tard repris et menés jusqu’à leur terme, jusqu’au bout des doigts et des pointes de pieds. L’ “entracte” voit quant à elle les danseurs flâner en tenue décontractée ou venir discuter avec les musiciens, personnages centraux de cette installation puisque les extraits de La Mariée mise à nue par ses célibataires, dont ils emplissent nos oreilles  dans la seconde partie, prennent peu à peu le dessus sur la danse. La promenade temporelle évoquée par le titre de la pièce n’a donc rien d’une promenade de santé. Si les danseurs doivent dans ce brouhaha sonore trouver leur rythme intérieur tout en étant à l’écoute des autres, les spectateurs doivent quant à eux faire preuve de la plus grande concentration pour appréhender cette musicalité si particulière, pour apprécier une “danse infernale”, pour reprendre à ma voisine de gauche son expression.

Infernale peut-être, radicale sans aucun doute, la pièce de Cunningham tire surtout admirablement parti du mécanisme secret du fameux Grand Verre de Duchamp. Dans les recoins de la structure et les jeux de transparence, se dévoile, à qui veut bien faire le pas-de-côté nécessaire, un tableau surréaliste de la danse qui donne à voir, dans le plus grand dénuement, le réalisme magique de celle-ci… La pièce, cependant, échoue peut-être à trouver les bons “mots” pour toucher l’ensemble du public. C’était le cas déjà en 1968 ; à voir le nombre de sièges vides au début de la seconde partie, on peut légitimement supposer qu’il en va de même encore aujourd’hui …

Pour ceux qui ne se sont pas arrêtés en chemin – et ils en seront récompensés, la promenade, en cette soirée d’avril, se poursuit avec deux pièces de William Forsythe composées respectivement en 1996 et 1992. Le territoire des écarts qui sépare les deux chorégraphes semble, sur le papier, infranchissable. Pourtant, les figures en cercles et lignes de Trio font écho à l’inspiration informatique de Walkaround Time ; d’une décennie à l’autre, on retrouve la vivacité des couleurs et ce besoin chorégraphique d’envahir tout l’espace, de s’amuser de l’imprévisibilité des prolongements des phrases et des tracés des parcours. Forsythe prolonge en un sens le jeu sur la dissonance proposée par Cunningham : aspérités et (dés)articulations de la relation à trois dans Trio, démarrages fulgurants et étirements langoureux dans Herman Schmerman, pulvérisent le temps  ordinaire déjà mis à rude épreuve par son prédécesseur. D’un chorégraphe à l’autre, la danse entre donc dans une nouvelle dimension pour laisser entrapercevoir ce qu’elle a de plus radicalement poétique.

Un programme, certes exigeant, mais magistral. Jérémie Bélingard ne pouvait rêver plus beau cadeau, lui qui fera ses adieux officiels à Garnier le 13 mai, jour de la dernière représentation.

Visuel : © Ann Ray

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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