Danse
Les enfermements violents de Boris Charmatz au Festival d’Automne

Les enfermements violents de Boris Charmatz au Festival d’Automne

14 October 2020 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Soir étrange. Quelques minutes avant l’entrée en salle nous apprenons que le couvre feu va anéantir la majeure partie des spectacles vivants jusqu’au premier décembre. Ne résisterons que les pièces courtes à proximité de son chez soi. Et cette reprise, plutôt cette re-creation, de Aatt enen tionon est encore plus actuelle qu’attendue.

Imaginez à quoi va ressembler Paris dans quelques jours. Ah oui c’est ça, à un confinement. En interview Boris Charmatz, invité de cette édition du Festival d’Automne qui a écrit cette pièce en 1996 disait : “Étrangement, c’est une pièce qui fonctionne en temps de Covid parce que les trois danseurs sont séparés – tout est séparé dans la pièce, le corps est coupé en deux, les trois danseurs sont séparés… On danse dans le silence entre deux chansons de l’album de PJ Harvey. Il y a vraiment une histoire de coupures, de séparations, et c’est du coup une pièce qu’on peut faire aujourd’hui parce que les danseurs ne sont pas ensemble, le public est autour de nous… Là, les spectateurs ne pourront pas se balader comme ils pouvaient le faire d’habitude, ils sont aussi dispersés autour de nous. C’est étrange en fait la résonance entre une maladie et une autre qui n’ont rien à voir.”

Du Sida au covid, avec au centre du dispositif Mathieu Burner qui remplace Vincent Druguet qui était séropositif et qui est mort, d’autre chose, en 2010. Pas simple.

Il y a une violence et une colère inouïe dans ce spectacle dément. Comment être plus ensemble que jamais sans se voir, comment l’écoute d’un pas ou d’un souffle peut dire à l’autre “ne t’inquiète pas, je suis juste au dessous”, exactement juste en dessous comme disait Gainsbourg.

Mais pas de soleil pour ces trois danseurs : Charmatz au rez de chaussée, Mathieu Burner au premier et Olga Dukhovnaya au deuxième étage. Pas de mur non plus sur cet échafaudage sans escalier, à escalader. Et pourtant l’enfermement est bien là et ces trois là semblent bien vouloir en sortir. Le corps est crispé, jeté, comme si, tous les trois, ils étaient emprisonnés dans une cellule trop étroite.

Alors, en 1996, montrer le bas du corps, les sexes nus mais le torse couvert, cela devait avoir une allure de backroom. En 2020 ce n’est pas que le sexe qui est interdit, c’est le moindre contact humain.

Dans cette chorégraphie verticale à la distanciation sociale plus que respectée, il s’agit parfois de chercher une issue en sortant un membre de l’enclos pour guetter une autre peau que la sienne. 

A la lumière, le génial toujours Yves Godin crée une illusion de bas fond à l’aide de trois gros ballons blancs qui éclairent la structure. Et c’est dans une sorte de pénombre que les corps explosent dans un fracas.

On ne s’attendait pas à voir ça ce soir là, ce soir de re-confinement culturel. Aatt enen tionon : ce mot mis au ralenti vient s’entrechoquer directement avec nos états. Que va devenir le portrait Charmatz ? Que vont devenir les spectacles du Festival d’Automne ? Nous le saurons vite.

Du 14 au 16 aux Amandiers. Complet.

Visuel ©Marc Domage

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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