Danse
Les bouffées de rage de Leïla Ka au Centquatre

Les bouffées de rage de Leïla Ka au Centquatre

04 April 2023 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Des poings qui se serrent avant de frapper l’air. Cela pourrait être le geste qui résume l’écriture de Leïla Ka, le nouveau phénomène de la danse contemporaine. Elle a présenté deux courtes œuvres au festival Séquence Danse du Centquatre : Bouffées/ C’est toi qu’on adore. Une claque précise.

Leika Ka est apparue comme chorégraphe en 2018 avec Pode Ser. Le solo a énormément tourné depuis. Celle qui a longtemps dansé pour Maguy Marin et qui possède de solides bases urbaines et contemporaines reste au plateau, mais augmente sa zone de jeu. Les deux pièces sont des quintettes interprétés par cinq danseuses : Leïla Ka, Jane Fournier Dumet, Zoé Lakhnati, Aïda Ben Hassine et Océane Crouzier. La première est un work in progress. La pièce globale va se donner en janvier au théâtre de Suresnes Jean Vilar. Cette première étape a déjà remporté le prix Danse Élargie du Théâtre de la Ville.

En attendant, elles apparaissent en sages robes à fleurs, le visage baissé, honteuses. Elles sont campées sur une ligne, les pieds vissés au sol. Le poing est déjà serré, mais il a l’air pour l’instant de retenir les larmes et la colère. Bouffées est une émancipation. Elles trouvent dans le souffle, qui devient leur musique autonome, les moyens de lâcher jusqu’au sol, jusqu’à l’indépendance. Elles sont enragées, elles ne dansent pas pour faire joli ni pour démontrer une technique. Aucun maniérisme, elles vont au but en étant dirigées par leurs épaules qui ne roulent jamais, elles se confrontent, au contraire, attaquent. Ces dix minutes sont un acte parfait, extrêmement engagé, actuel et fort.

On retrouve la même énergie dans C’est toi qu’on adore. Cette pièce est une récréation à partir d’un duo déjà présenté à Séquence Danse, en avril 2020,et créé à la MPAA en janvier 2020.  À sa création, il était bien exécuté, mais  trop sage. Les choses ont bien évolué depuis. 

Contrairement à Bouffées, il y a de la musique, super lyrique même ! Leïla Ka convoque la Sarabande : suite pour clavecin n°11 de Haendel. C’est intéressant, car, en danse comme en musique, la sarabande est un mouvement lent et grave. Son geste à elle est plutôt très rapide et intense.

Elles vont danser une seule phrase chorégraphique et l’essorer : un mouvement de boxe, un passage sur quatre appuis (définitivement le mouvement à la mode du moment !) avant de se relever comme si elles étaient tractées par une force extérieure, et recommencer. À cela s’ajoute très ponctuellement une vrille qui tourbillonne, qui apporte un soupçon baroque, que l’on retrouve aussi dans un placement de mains très élégant, à contre-courant de la violence. Mais cela ne dure pas.

La sensation est harassante. On retrouve des éléments de colère communs à Oona Doherty mais qui ne se trouvent pas au même endroit.

Chez Leika Ka, la rage n’est pas sociale, elle est sociétale. Ce groupe de femmes cisaille l’air de leurs mouvements. C’est un coup de poing net et clair donné au patriarcat, un geste féministe qui ne cherche ni compassion ni éloge. Il est là, il est violent, il se répète. Il faut faire avec.

L’écriture est parfaite, le collectif est uni. Et les rares temps où il se disloque, il sait se retrouver sans avoir besoin de temps pour se concerter.

Le festival Séquence Danse commence à peine. Il se déroule au Centquatre jusqu’au 17 mai. Nous vous conseillons d’aller voir justement Hope Hunt and the Ascension into Lazarus d’Oona Doherty  du 5 au 7 avril et, en mai, de Pierre Pontvianne/William Forsythe, 3 pièces avec le Ballet de l’Opéra de Lyon, et le profond En son lieu de Christian Rizzo.

Bouffées/C’est toi qu’on adore se donne le 7 avril dans le cadre de la saison du Festival d’Automne, à la Sorbonne. Entrée libre sur réservation.

Visuel : ©Nora Houguenade

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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