
Les avant-gardes fluides de Dance Reflections à Londres
Deuxième et dernier jour pour la rédaction de Toute La Culture à l’occasion du tout premier festival de danse organisé par Van Cleef & Arpels à Londres. Au programme : des courbes très contemporaines. Lovely !
Set and reset, pour comprendre le “release” de Trisha Brown
C’est dans un tout nouvel espace de la Tate Modern, un hall immense comme une usine désaffectée que se tenait hier, vendredi 11 mars, la recréation par le Ballet Rambert du tube de la chorégraphe américaine. Événement, cette version était présentée pour la première fois à la Tate.
Comme nous l’écrivions hier, la ligne de conduite de ce festival est de rendre l’archive vivante. Nicolas Bos, Président et CEO de Van Cleef & Arpels, nous l’explique : “Nous pouvons réunir des institutions venant de ces différents horizons, de l’académique à la création contemporaine voire des performances. Aujourd’hui, il y a une envie de travailler sur le patrimoine de la danse contemporaine. C’est cela qui nous a amenés à développer ce projet de « Dance Reflections.». Quand nous avons commencé à réfléchir à une contribution que l’on pouvait apporter à notre échelle, nous avons trouvé que la transmission autour de la danse contemporaine, artistes et institutions, avaient envie de développer des projets.”
Et c’est ainsi que le programme se concentre à la fois sur la post modern dance et sur la création contemporaine. Cette dernière étant montrée dans ses filiations et ses influences.
Et à ce titre, le programme pensé hier soir par Serge Laurent répondait à 100% à la commande. Set and Reset est résolument une oeuvre patrimoniale. Nous sommes en 1983 et Trisha Brown part des lignes droites de Merce et Lucinda pour y ajouter une touche de souplesse : le “release”. Cela donne des bras comme des pendules qui par synergie embarquent tout le corps. Cela balance, swingue presque. Les portés sont géométriques et n’ont rien d’académique.
Les garçons et les filles sont traités avec égalité. Tout comme dans Dance, la pièce est marquée dans son époque par des collaborations franches entre arts visuels, musique et danse. Set and Reset est considéré comme l’un des chefs-d’œuvre de Trisha Brown, figure de l’après modern dance, qui multiplia les collaborations comme avec le plasticien Robert Rauschenberg, à l’origine de ce ballet, et la musicienne Laurie Anderson. L’ouvrage a entre autres, dans les années 2010, été réécrit pour le Ballet de l’Opéra de Lyon sous le nom Set and Reset/Reset.
1983. L’ère est à la modernité, en témoigne l’allure de vaisseau du décor suspendu : un carré entouré de deux triangles comme une pyramide du futur. Les cinq interprètes vont déployer nombre d’interactions au bord de la narrativité. Avec cette pièce Trisha Brown a amené l’idée que la courbe était possible dans un soulagement du dos. Cette fluidité était alors totalement d’avant-garde.
La danse serpentine de Ola Maciejewska
La chorégraphe polonaise, basée depuis 10 ans en France, présentait dans la nouvelle salle du Royal Opera House, Bombyx Mori, un pas de trois aussi dément qu’hypnotique sur le geste fondateur de Loïe Fuller, la Danse serpentine.
La danse serpentine est une chorégraphie créée par la danseuse américaine Loïe Fuller au Park Theatre de Brooklyn, à New York, le 15 février 1892. 1892…. C’est elle qui pose les bases de l’abstraction, avant Isadora Ducan, c’est elle qui la première fait du light desing. Bref, Loïe Fuller c’est la définition de l’avant-garde. Entre la fin du XIXe siècle et le début du XXIe siècle, tout à été fait en matière de mouvements abstraits, jusqu’à la non danse même.
Nous sommes donc en 2022. Amaranta Velarde Gonzalez, Maciej Sado et Ola Maciejewska arrivent habillés en noir mais d’aujourd’hui. Le cadre est blanc, et bientôt tout sera noir, et de ce noir là jaillira la lumière, une lumière sensible. Ils ont chacun leur propre tissu qu’ils apprivoisent. Il y a ce temps nécessaire pris avant d’entrer dans la frénésie de la serpentine.
Ola raconte, dans le bord plateau qui a suivi la représentation, qu’elle a été marquée par l’absence de son de cette pièce, la première a avoir été déposée, comme une marque ! Alors, comment la rendre sonore ? Eh bien sans musique mais avec des sons organiques. Il y a six micros qui pendent et qui répercutent les souffles et autres onomatopées du trio. Au début c’est drôle, ils s’amusent à bouger “librement” avec cette jupe devenue robe. Cela leur donne des allures de Dark Vador. Et puis vient LA serpentine, cette danse ultra physique et ciselée qui impose aux épaules, aux bras et aux mains un mouvement perpétuel au dosage précis. La pièce provoque alors des images au cordeau qui vont des spirales aux formes brutes. C’est autant viscéral que sexuel.
Cette pièce fait le pont entre deux avant-gardes et c’est brillant.
Un soutien essentiel à la danse contemporaine
Nous quittons Londres alors que le festival se poursuit jusqu’au 23. La programmation donnera à voir Une maison de Christian Rizzo, Fase d’Anne Teresa de Keersmaeker, Somnole de Boris Charmatz ou encore le très performatif The Collection d’Alessandro Sciarroni qui est une mise à mort (symbolique !) du spectacle par les spectateurs ou les danseurs !
S’il fallait prouver que la relation entre la danse contemporaine et Van Cleef & Arpels était sereine c’est chose faite. Nicolas Bos nous rappelle que cette idée “n’est pas très neuve dans la maison. (…) Une autre inspiration vient du ballet de Georges Balanchine « Joyaux », inspiré par son amitié avec Claude Arpels. Nous étions déjà dans une collaboration qui n’était pas forcément liée aux pièces de joaillerie. C’est vraiment la rencontre de deux univers et un vrai dialogue. Ce dialogue s’est poursuivi sous différentes formes : partenariats, institutions… et souvent dans le domaine de la danse classique mais aussi de la création contemporaine. Benjamin Millepied, par exemple, s’inscrit dans cette continuité ou des projets que nous avons pu réaliser avec William Forsythe. De manière ponctuelle, il y a eu des soutiens, notamment du Centre Pompidou, la FIAC… Il y a vraiment des incursions. Quand j’ai commencé à réfléchir avec l’équipe, il y a une vingtaine d’années, pour savoir comment perpétuer cette histoire, j’avais la sensation qu’il fallait faire un choix entre la danse classique et contemporaine, avec assez peu de passerelles. Ce monde a beaucoup évolué et ces dernières années, nous avons ressenti que ces passerelles semblaient plus évidentes.”
C’est ainsi qu’en plus de son mécénat “classique”, Van Cleef & Arpels souhaite pérenniser ce volet programmatique. C’est un compagnonnage très soutenu avec des institutions et des compagnies qui est mis en place, qui va de la coproduction au financement total. Nicolas Bos ajoute : “Nous avons travaillé en vraie collaboration avec les institutions, qui voulaient réaliser certaines pièces et nous les avons aidées pour la finalisation. Il n’y a pas de schéma particulier. Nous nous sommes rendu compte qu’il fallait adapter la proposition au contexte. Ce que nous faisons à Londres semble pertinent avec nos partenaires et le texte de la ville. À Paris, cela prendrait une autre forme. Aux États-Unis, nous aurions sans doute moins d’artistes et moins de spectacles mais plus de dates et de lieux.”
Il est évident qu’il y a aura d’autres éditions de Danse Reflections, sur d’autres continents, si l’avenir le permet. En attendant si vous êtes à Londres, suivez le programme !
Visuel : ©Martin Argyroglo