Le doux portrait d’Isadora Duncan par Jérôme Bel au Festival d’Automne
Il y a bien deux choses que le chorégraphe sait faire mieux que personne : dessiner le portrait de danseurs, et prendre les amateurs au sérieux. Pour Isadora Duncan, il les mêle avec talent et c’est passionnant.
Et si l’écologie permettait quelques innovations dans la forme des spectacles ? Jérôme Bel a décidé que sa compagnie ne prendrait plus l’avion ce qui a quelques conséquences. Pour la version américaine du spectacle, dansée par Catherine Gallant, il a dirigé les répétitions sur Skype. Alors bien sûr toutes les compagnies ne peuvent pas faire de même, mais toutes celles de l’envergure de Jérôme Bel peuvent se plier à cette contrainte. Interroger le coût écologique d’une création, cela veut aussi dire économiser le papier. Et avec beaucoup d’humour, le programme de la soirée, est “performé” par le chorégraphe même. Avouons que c’est bien la première fois que l’on rit face un programme de salle.
Isadora Duncan porte son projet dans son nom. Il s’agit de façon chronologique de dresser le portrait chorégraphique et de celle qui est tragiquement morte étranglée au volant de sa voiture à 50 ans. La danse d’Isadora Duncan est militante et elle est d’avant-garde. Sans ses pieds nus, sans ses longues tuniques d’inspiration grecque, ni Le sacre du printemps, ni Pina Bausch, n’auraient vu le jour. Visionnaire, moderne et engagé, tout est juste dans le geste d’Isadora Ducan.
Pour continuer à ce que cette danse soit dansée il faut transmettre. C’est la fonction des “isadorables”. C’est la première fois que Jérôme Bel dresse le portrait d’une chorégraphe disparue. Il fallait donc un corps pour porter les pas. Et c’est Elisabeth Schwartz qui campe ce rôle. Elle est danseuse et pédagogue, elle a reçu et enseigne les chorégraphies d’Isadora Duncan. La pièce n’est pas un portrait d’Elisabeth Schwartz mais bien d’Isadora Duncan.
Bel demande et Elisabeth Schwartz fait. La force de la danse est son apparente fluidité. Tous les gestes sont simples et sont portés par un imaginaire solide : le désir, le don, la peine… Ce projet est très pédagogique, il vise à faire de nous une nouvelle courroie pour que cette danse libre survive.
Elisabeth Schwartz est puissante. Elle a 69 ans et danse sans limite. Tout son corps n’est qu’ouverture, sensualité et générosité. Cette danse si connectée avec les mouvement naturels de la vie et de la mort, qui sont ici le sac et le ressac de la mer nous apparaît comme écrite aujourd’hui, alors que la prise de conscience tardive de la fin de notre monde est là. La gorge s’ouvre aussi large que les bras, aussi vite que les courses qui ici sautillent. C’est beau. C’est littéral et pourtant très radical. Montrer du Isadora Duncan en 2019 est encore militant. Cela prouve que la danse même figurative peut être politique (Duncan a dansé le communisme). Il ne faut jamais perdre de vue que ces danses ont plus de 100 ans et qu’au moment où Isadora fait ça, c’est une rébellion, et plus encore, il faudra attendre les héritiers, tardifs, comme Trisha Brown pour oser retoucher à cet anti-classicisme.
Informations pratiques :
Isadora Duncan
CENTRE POMPIDOU
Jeu. 3 au sam. 5 octobre
Jeu. et ven. 20h30, sam. 17h
14€ et 18€ / Abonnement 14€
LA COMMUNE CENTRE DRAMATIQUE NATIONAL D’AUBERVILLIERS
Jeu. 28 au sam. 30 novembre
Jeu. 19h30, ven. 20h30, sam. 18h
10€ à 24€ / Abonnement 8€ à 14€
Visuel : ©Je?ro?me Bel, Isadora Duncan – Deutsches Theater © Tanz im August-HAU-Hebbel am Ufer, Photo Camille Blake, 2019