Jours étranges (1990) de Dominique Bagouet : retour sur l’adolescence
Suite à la disparition précoce de Dominique Bagouet en 1992, sa compagnie réagit en créant les Carnets Bagouet, une initiative vouée à la transmission d’un riche patrimoine chorégraphique. Illustration ce soir avec la reprise de Jours étranges par de jeunes Rennais.
Jours étranges est né en 1990 d’une double empathie de la part du chorégraphe : l’observation « off » de ses danseurs, après les heures de répétition, alors qu’ils se défoulent sur la musique des Doors qu’il a laissée jouer dans le studio, et le souvenir ému de ses propres années d’adolescence, marquées par la découverte de ce groupe alors que les événements de mai sont encore à venir. Le travail de transmission mené par Catherine Legrand et Anne-Karine Lescop avec dix lycéens de Rennes vient souligner la portée universelle de ce regard sur l’adolescence.
Au son de cinq chansons de l’album Strange Days des Doors, devant deux murs d’enceintes pour seul décor, les dix « adolescents » interprètent pour nous une succession de tableaux qui brossent par petites touches les contours de leur identité collective. Ou l’adolescence décrite comme ce moment particulier où l’individu va peu à peu devoir émerger par et contre le groupe. Entre rougeurs et jeans troués, looks savamment négligés et soucis capillaires de tous ordres, ces lycéens rejouent pour nous la tragi-comédie que représente cette mutation ontologique, dont l’enjeu principal consiste à tenter de maîtriser ce corps qui fait souvent défaut. Un corps en mutation qui rechigne à épouser le conformisme ambiant.
C’est ainsi que différentes voies sont explorées par les uns et les autres : l’humour, l’échappée solitaire, la discrétion, la séduction, autant de poses affectées qui semblent bien dérisoires dans ce jeu de rôles perdu d’avance, où l’anecdote règne en maître. Une seule issue, pour le meilleur comme pour le pire, et ce n’est pas pour tout de suite : grandir…
Une pièce à fleur de peau, où le trouble le cède au rire et à la tendresse.
Crédits photographiques : Jours étranges, Dominique Bagouet © Caroline Ablain