Danse
Jésus Sevari trompe l’ennui dans <em>Androcéphale</em>

Jésus Sevari trompe l’ennui dans Androcéphale

08 February 2012 | PAR Géraldine Bretault

Après Childe dansé sur une symphonie de Berlioz en 2010, c’est à  un essai chorégraphique sur une partition Erik Satie que nous convie aujourd’hui Jésus Sevari, dans le cadre du festival Faits d’hiver.

Quand la lumière surgit dans la salle obscure, Jésus Sevari se tient immobile en équilibre sur une des protubérances blanches qui ponctuent la scène, dans un costume moulant brodé de lourds sequins et de cabochons, à peine plus assurée qu’une sirène sur son rocher.

Quelques réitérations de Vexations – un morceau composé par Satie suite à une rupture sentimentale – suffisent pourtant à la chorégraphe pour prendre pleine possession de son plateau et déployer sa personnalité en mouvement.

Les lentes circonvolutions du piano et l’éclairage subtil concourent à troubler notre rapport au temps, dont on ne perçoit plus l’écoulement qu’à travers la récurrence du vocabulaire chorégraphique que Jésus a défini pour cette pièce.

Une réflexion sur le temps qu’elle explicite vers la fin de la pièce, en récitant une longue litanie de mots qui résonnent immédiatement dans notre mémoire collective :  Combray, recherche, perdu, John Cage.

Ancienne élève du mime Marceau, Jésus Sevari sait aussi se servir de son visage pour nous interpeler, tour à tour séductrice, aguicheuse, bestiale ou délirante. C’est alors que le titre de la pièce s’impose à nous : Androcéphale – créature animale à visage humain. Comme si, à travers ce solo, Jésus recherchait sa part d’animalité – nous confrontant à la nôtre, par la même occasion.

La chorégraphe n’omet d’ailleurs pas de rendre hommage à quelques illustres précédents : ainsi, lorsqu’elle rampe tête baissée, prise de convulsions, les oreilles grimées au rouge à lèvres, l’ombre du faune de Nijinsky n’est pas loin…

Telle une Mary Wigman des temps modernes, Jésus Sevari nous a ensorcelés, rendus à notre bestialité et séduits. Un parcours à suivre.

«Le temps dont nous disposons chaque jour est élastique ; les passions que nous ressentons le dilatent, celles que nous inspirons le rétrécissent et l’habitude le remplit. » Marcel Proust, « À la Recherche du Temps Perdu », II, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1919

Visuels : Androcéphale, Jésus Sevari © Yann le Bras

Le monde est beau ? Vraiment, monsieur Oldelaf ?
La mort d’Ivan Ilitch , Yves-Noël Genod sort le cliché de l’ombre
Avatar photo
Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration