Danse
<em>Incorpore(o)</em> et <em>Inedito 2</em> : Luigia Riva interroge le corps post-humain

Incorpore(o) et Inedito 2 : Luigia Riva interroge le corps post-humain

16 November 2012 | PAR Géraldine Bretault

La chorégraphe italienne Luigia Riva propose en ce moment à Chaillot, les deux pièces Incorporeo(o) et Inedito 2 qui viennent s’ajouter à la longue liste de pièces créées avec sa compagnie Inbilico. Une récurrence du préfixe « in- » qui traduit son exploration de l’intime : que se joue-t-il donc de si mystérieux à l’intérieur de nos corps ?

Incorpore(o)

 Sur les gradins du palier Passy, nous découvrons un décor clinique : derrière des bâches en plastique transparent fixées à des portants semblables à ceux des hôpitaux, de drôles de sculptures gisent sur une table couverte d’un drap blanc. Luigia Riva entre en scène accompagnée d’un homme en costume blanc, au visage sévère. Il l’aide d’abord à prendre position sur cet amas de formes, dont les belles couleurs pourpres et vert sombre contrastent avec son short et son débardeur blancs et son teint diaphane.

Avec des gestes lents, l’homme prépare minutieusement les instruments d’une cérémonie occulte. Luiagi sort lentement de sa torpeur pour venir repousser au bord de la table ce qui se révèle être un organe. Dissection ? Anatomie d’un meurtre ? Nos pensées divaguent tandis que se met en place un rituel qui restera immuable jusqu’à la fin : à mesure que Luigia fait tomber les organes à terre, l’homme les ramasse, les examine, les munit d’un crochet et les suspend à deux portants. Saisis par la composition électronique de Samon Takahashi, nous laissons s’égrener les secondes, hypnotisés par cet univers à la fois si organique et distant. La difformité des organes, l’étirement du temps, la musique entêtante nous renvoient soudain à l’atmosphère de la série Crewmaster du plasticien Matthew Barney. Tel le pendant féminin de cette approche éprouvante du corps post-humain.

 

Inedito 2

Dans la salle Gémier, la seconde pièce fait suite à une première création intitulée Inedito, composée de deux soli successifs. Dans cette version, Luigia Riva rompt avec la symétrie pour inviter une troisième danseuse à se glisser dans le second solo. Si l’argument s’intéresse cette fois au corps contraint, les deux volets prennent une valeur différente en fonction de la partie du corps ligotée, ainsi que la tenue des danseuses.

Dans le premier volet, la danseuse porte une tenue noire élégante, les bras maintenus en arrière par du ruban adhésif argenté. Lentement, tandis qu’elle arpente la scène dans une exploration inquiète de ses dimensions, elle s’efforce de dégager ses mains pour retrouver sa pleine capacité d’expression. Quelques battements de ses bras vers le haut suffisent à convoquer la figure du cygne, ou du moins le mouvement si codifié qui représente cet animal dans le ballet classique. Cette limitation de la partie supérieure de son corps semble au contraire libérer les articulations de ses jambes, rappelant que tout handicap entraîne nécessairement la découverte de nouvelles ressources.

Lorsqu’elle s’éclipse d’un côté de la scène, une forme étrange apparaît de l’autre. Les jambes ligotées, telle une sirène à la merci de sa queue, cette créature progresse par reptation, par secousses, en s’aidant de ses bras. Cette fois, la combinaison qui habille la danseuse, couleur chair, ne cache rien de son anatomie. La nudité suggérée renvoie davantage à l’érotisme du bondage, ce qu’accentue la lascivité de ses déplacements. L’arrivée d’une seconde danseuse pareillement empêchée les entraîne vers un pas de deux insolite, femmes troncs unies par le même sort, siamoises de destin.

Une pièce à la fois contemplative et oppressante, étirée dans le temps, qui peut rester hermétique pour le public.

 

Crédits photographiques :
Incorpore(o) © Sara Valentini
Inedito 2 © Charlotte Gonzales


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Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

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