Fase, le talent en boucle d’Anne-Teresa de Keersmaeker
Anne Teresa de Keersmaeker clôt le Festival d’Avignon avec une magistrale reprise de son spectacle fondateur, « Fase », organisé sur la musique circulaire de l’américain Steve Reich. Attention chef d’œuvre.
« Fase », ce sont quatre pièces dont trois duos et un solo : « Piano phase », « Come out », « Violin Phase » et « Clapping music ». Le spectacle a commencé à naître en 1981, alors que la chorégraphe étudiait à la NYU. Il a vu le jour sur scène dans la version présentée pour quelques jours à Avignon et le 18 mars 1982, dans la salle du Beursschouwburg à Bruxelles.
La musique de Steve Reich joue sur un principe de déphasage. Il réitère puis transforme une phrase musicale. Cela donne l’étrange impression d’une répétition décalée. « Piano Phase », le premier duo, nous offre Anne Teresa de Keersmaeker en compagnie de Tale Dolven. Toutes deux, devenues trois par un jeu d’ombre, dansent en se laissant entrainer par leur bras gauche qui emmène le corps dans des quarts de tours, elles sont ensemble, puis se séparent, puis se retrouvent, dans une complainte qui pourrait être celle de l’amour.
Vient ensuite un temps sombre, policier, peut-être même militaire. Les deux danseuses, bottes lourdes aux pieds, comme pour les lester, attaquent “Come out”, une chorégraphie assise, sur des chaises surplombées de lampadaires. Jamais elles ne quitteront leurs places. Le mouvement vient du buste et les fait se décaler par demi-quarts de tours, offrant des points de vue sur les artistes étonnants, campées sur leur siège, dans des diagonales appuyées par une définition de l’espace par la lumière. Dans un carré de jeu restreint, elles deviennent des automates, symboles d’une obéissance à un régime dictatorial.
Place au temps du sublime absolu avec déjà la troisième pièce, « Violin Phase ». En solo, Anne Teresa, grande robe blanche qui virevolte et baskets aux pieds se place sur un cercle lumineux, elle dessine de ses pas la perfection du disque puis le traverse dans une ligne médiane exemplaire. Dans une danse qui fait la part belle aux suspensions et aux spirales hélicoïdales, elle accélère, ralentit, donnant toujours cette impression d’un mouvement identique qui se répète à l’infini.
« Clapping Music ». Dernier duo, déjà, tellement trop tôt. En pantalon bleu marine, baskets aux pieds, chemise rentrée, elles sont l’une derrière l’autre, de profil et nous proposent une farce basée sur le passage de plat à pointes (oui, en baskets..), le mouvement des jambes propulsant les bras dans une offrande. Là encore, déphasage dans la répétition et surprise d’une fausse immobilité qui les fait en réalité traverser le plateau.
Phase est un spectacle magistral à la scénographie minimaliste superbe. Pensé il y a trente ans, il reste d’une actualité rare encore inventive aujourd’hui. Les boucles chorégraphiques sur cette musique répétitive apportent une signature forte au travail d’Anne Teresa de Keersmaeker. Spectacle à la beauté absolue dont les costumes, à deux reprises, nous amènent dans un champs plus politique. “Fase” a défini un style chorégraphique essentiel dans la relation entre les pas et la musique à l’emphase restreinte et à la montée en puissance extraordinaire.
Visuel Une: (c) “Fase, four movements to the music of Steve Reich”,
d’Anne Teresa De Keersmaeker/Rosas. Photo : Herman Sorgeloos.
Visuel page intérieure: Christophe Raynaud De Lage
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5 thoughts on “Fase, le talent en boucle d’Anne-Teresa de Keersmaeker”
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allezaud
Pouvez-vous envoyer une photo de Fase “Out off” (dernière séquence) à ?
Merci d’avance
Robert Allezaud
Critique de théâtre
Amelie Blaustein Niddam
Je n’en ai pas… j’en attends justement du festival… je vous l’envoie si j’en reçoit.
Amélie