Danse
Farruquito au sommet

Farruquito au sommet

05 July 2021 | PAR Nicolas Villodre

Pas compliqué de réussir un festival. Il suffit de programmer ce qui se fait de mieux dans un genre donné. Arte flamenco de Mont-de-Marsan nous a comblé cette année, au-delà de nos espérances, avec deux soirées d’anthologie. La première, consacrée au chant, a présenté deux figures remarquables, El Pele et Jesús Méndez. Et elle a pris son envol avec le bailaor virtuose Farruquito. 

Cante jondo

Le vétéran El Pele, aka Manuel Moreno Maya, avait pour tâche d’ouvrir le gala aux arènes du Plumaçon. Il porte un t-shirt noir sous un complet veston sombre et sobre et est coiffé d’un Kangol, visière à l’envers façon rappeur ou entertainer de jazz des années trente (on pense par exemple à Buck & Bubbles). Un de ses lyrics oppose d’ailleurs les porteurs de bérets aux adeptes de chapeaux – d’extraction censément plus noble. De la sorte mis à l’aise, soutenu par la guitare de Severiano Jiménez Flores et les percussions de José Moreno, il passe sans le moindre effort du chant familier au plus profond et aligne une variété de palos – qui vont, d’après les spécialistes consultés, de son hit, une canción-zambra intitulée « Suelta la luna un suspiro » à une malagueña, en passant par des soleares, des siguiriyas, des cantiñas et des bulerías

Le grand – dans tous les sens du terme – Jesús Méndez s’est substitué au pied levé à Pedro Heredia Reyez, dit « El Granaíno », empêché à cause d’un tenace virus dont ne nous a pas été précisé le variant. Le cante étant aussi pratiqué à Jerez, en particulier dans le quartier gitan San Miguel, au sein d’une tribu où se distingua l’illustre Paquera, on peut dire que ce remplaçant « de luxe » a été accueilli… comme le Messie. Il a, pour cet événement, été accompagné par un guitariste d’exception, Paco León. Tous deux ont envoûté l’audience avec une malagueña (introduite au piano électrique par Cristian de Moret), des siguiriyas, une longue série de soleares et, comme il se doit, au final, de festives bulerías.

Le danseur fantasque

Juan Manuel Fernández Montoya, surnommé Farruquito, appartient à la lignée du guitariste Ramón Montoya et du bailaor El Farruco, son fameux grand-père. La farruca, dont dérivent les sobriquets, étant cette danse paysanne que Félix El Loco transmit à Massine pour les besoins du ballet Le Tricorne (1919). Du patriarche, Farruquito a hérité non seulement la technique mais de la finesse stylistique. Notre amie Jana Boková voue un culte au danseur, qu’elle découvrit encore enfant, au milieu de son clan, et qu’elle capta dans son documentaire poétique Un voyage andalou (1991). Nous n’avions pu vérifier les dires de Jana à La Villette, il y a quelques années, le jeune homme nous ayant fait faux bond pour « raisons techniques ». Aux qualités attendues, il convient d’en ajouter quelques autres : la vélocité d’un Tadej Pagacar ou d’un Kylian Mbappé, l’imprévisibilité totale une fois sur le plateau et la générosité absolue.

Le clinquant d’une veste Op Art à pois blancs sur fond sombre, taillée à sa mesure par le meilleur faiseur, le look « pirate des Caraïbes », mi-Douglas Fairbanks, mi-Errol Flynn, mi-Johnny Depp, ne sauraient tromper : il n’est pas signe d’un ego surdimensionné mais signal ou panneau de priorité. En pays landais, nulle promesse de Gascon n’étant de mise, l’artiste se doit d’assurer. Farruquito, prodige du baile, n’est pas du genre à attendre dans sa loge que vienne son tour. Il intervient, sans pour autant les interrompre, au milieu du set des chanteurs. Il dispense ses routines sans regarder à la dépense, virevolte, conclut un chant à son climax, surmotive, dynamise ses collègues, les entraîne dans la danse. Il les valorise, les fait se lever de leur chaise, évolue en duo avec eux, laisse El Pele au premier plan, sort Méndez de sa réserve. En solo, sans autre décorum que son corps, il démarre au quart de tour, donne des coups de pied de l’âne symboliques et défie du regard les démons de la danse. Tout, chez lui, sonne juste.

Visuel : Farruquito et El Farruco dans le film de Jana Boková, Un voyage andalou (1991).

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Nicolas Villodre

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