Epures chorégraphiques pour l’ouverture de la saison du Ballet de l’Opéra de Lyon
L’Opéra de Lyon ouvre sa saison chorégraphique à la Maison de la danse avec trois pièces de trois chorégraphes majeurs de notre temps.
[rating=4]
A la différence d’autres compagnies, comme par exemple celle de Bordeaux, le Ballet de l’Opéra de Lyon ne pratique pas le tutu et défend le répertoire contemporain. L’ouverture de sa saison, hors les murs, à la Maison de la danse, résume cette identité avec trois personnalités majeures d’aujourd’hui. La première des trois pièces est une entrée au répertoire de la compagnie lyonnaise. Conçue pour quatre solistes, N.N.N.N de William Forsythe affirme une écriture ludique et combinatoire, à partir des relais habituels de l’athlétisme chorégraphique : les bras et les jambes. Cependant, à la différence de Robbins dans The concert, où dérision et sentiment s’entremêlent sur fond de Chopin, la présente parodie relève de l’abstraction, accompagnée sur une partition de Thom Willems qui se résume à quelques discrètes ponctuations sonores pour l’épure scénographique imaginée par le chorégraphe lui-même, lequel signe également les lumières et les costumes de cette étude où virtuosité et gaucherie se confondent. Cette décantation presque aux confins de l’anecdote s’attache, comme souvent chez Forsythe, à la quintessence du geste et du rythme, traitée ici avec une distance où le sourire égale la discrétion, et servie par un quatuor masculin bien coordonné – Yan Leiva, Ricardo Macedo, Albert Nikolli et Raul Serrano Nuñez.
Avec la reprise de Solo for two de Mats Ek, c’est une variation sur le couple que défendent avec un engagement évident Caelyn Knight et Leoannis Pupo-Guillen. Sur un florilège de pages d’Arvo Pärt – For Aline, Variationen zur Gesundung von Arinuschka et Mirror in mirror –, le maître suédois se livre à une exploration quasi anatomique de la relation amoureuse, nimbée dans la douce mélancolie des notes et des lumières bleutées réglées par Erik Berglund. Réécriture d’une œuvre imaginée pour la télévision, Smoke, Solo for two décline une épure expressive qui condense l’histoire et les tensions d’un couple, entre repli solitaire et amnistie des retrouvailles, entre solos et duos. Dessinée par Peter Freij, la scénographie se résume à un pan de mur, tel un interface entre intérieur et extérieur, entre explicite et refoulement, qui, parfois, est affecté de secousses telluriques comme celles du cœur. C’est cette ambivalence perpétuelle entre drame et humour, entre violence et tendresse, que sait si bien saisir Mats Ek et dont Caelyn Knight et Leoannis Pupo-Guillen restituent le fil narratif, ténu et inimitable, dans ce climat de pénombre intimiste.
Après l’entracte, la reprise de Die grosse Fuge d’Anne Teresa De Keersmaeker, sur la page éponyme de Beethoven, l’Opus 133, dans un enregistrement du Quatuor Debussy de 2006, referme cette soirée placée sous le signe de la combinatoire sur une authentique jubilation musicale et visuelle. La scénographie de Jan Joris Lamers privilégie, comme les autres pièces, un minimalisme relayé par les costumes dessinés par la compagnie de la chorégraphe belge, Rosas, et sert d’écrin à une transcription serrée du contrepoint beethovénien, confiée à huit solistes investis. A partir d’une matrice condensée de figures et de gestes qui se concentrent autour de l’élan et de la dynamique, Die grosse Fuge développe une série de variations qui culmine dans une coda où intellect et émotion visuelle se rejoignent avec une parfaite justesse de moyens. Une belle ouverture de saison, sous le signe de l’essence de la danse.
Gilles Charlassier
Ballet de l’Opéra de Lyon, Maison de la danse, Lyon, du 14 au 18 septembre 2021.