Danse
Entretien Maguy Marin : Y aller voir de plus près, ou à quoi pense l’histoire ?

Entretien Maguy Marin : Y aller voir de plus près, ou à quoi pense l’histoire ?

17 July 2021 | PAR Sylvia Botella

La chorégraphe indisciplinée Maguy Marin présentait sa pièce Y aller voir de plus près au Festival d’Avignon.  L’occasion d’une conversation sur sa manière de raconter le chef d’œuvre de la littérature antique La guerre de Péloponnèse de Thucydide sans danser. A moins qu’au contraire, il n’y soit question que de danse.

Quelle est la genèse de Y aller voir de plus près ?

Il y a quelques années, j’ai lu des fragments du livre La guerre de Péloponnèse de Thucydide, sur le conflit sanglant qui a opposé la ligue du Péloponnèse menée par Sparte à la ligue de Délos menée par Athènes au Vème siècle avant notre ère. Où – dit rapidement -, la ligue du Péloponnèse propose à la ligue de Délos de se soumettre ou d’être massacrée. Ce récit m’a profondément marquée. Pour moi, naïvement, Athènes, c’était le berceau de la démocratie. J’étais embarrassée. Ce sentiment ne me quittait pas. J’ai donc voulu littéralement y aller voir de plus près (rire). J’ai documenté ma lecture. Ensuite, nous – Antoine Besson, Kaïs Chouibi, Daphné Koutsafti, Louise Mariotte et moi – avons lu le livre ensemble.

Comment avez-vous trouvé et fixé le dispositif de Y aller voir de plus près ? Il est très complexe : images de film, maquette, texte et musique live s’entremêlent.

Comment rendre compte du récit ? J’ai su très vite que l’image serait un des principaux ressorts dramaturgiques de la pièce. Et qu’il n’y aurait pas un grand écran mais plusieurs petits écrans pour raconter cette histoire, la fluidifier et l’élargir à nous.
Enfants, nous ne comprenons pas toujours le sens des choses. Nous essayons de nous les représenter autrement, en prenant des notes, en ayant recours à l’image. C’est la raison pour laquelle, il y a, sur le plateau, des piquets avec des notes de rappel. Et que j’ai demandé à David Mambouch et Anca Bene de réaliser un film pensé pour les grands enfants que nous sommes restés. Il y a quelque chose de très enfantin dans notre parti pris qui nous élève vers la compréhension de l’histoire de la guerre de Péloponnèse. Peut-être la renouvelle-t-elle également en reliant nos émotions à l’immensité de cette histoire ? En revanche, soulignons-le, l’enfance avec laquelle je veux être en contact ici, ce n’est pas de l’infantilisation sinon ça ne serait pas intéressant.

Y aller voir de plus près n’est pas une pièce de danse. Ce à quoi on pourrait ne pas s’attendre car vous êtes chorégraphe. Pourquoi ce choix radical ?

Ce n’est pas la première fois que je fais de la sonorité des mots le cœur même de la pièce. C’est peut-être dangereux parce qu’on peut me dire que ce n’est pas de la danse. Moi, je veux que ça soit le mouvement même de la langue (où la performativité des mots) qui fasse naître la guerre du Péloponnèse sur le plateau. J’aurais pu y ajouter quelques pas de danse mais ils auraient atrophié le texte.
Il est important de garder en tête que le corps est toujours présent au plateau, y compris lorsque l’acteur est immobile. La respiration, le regard, le moindre micromouvement… tout ça, pour moi, c’est de la danse. Dans Y aller voir de plus près, les acteurs sont mus par une urgence, celle de raconter l’histoire avant qu’elle disparaisse. Ils la racontent vite pour qu’elle soit entendue par le plus grand nombre qui, à leur tour, la transmettront à d’autres. Il y a tellement d’évènements historiques qui n’ont pas été relayés et se sont perdus dans les limbes.

Concrètement, comment travaillez-vous ?

Dans Y aller voir de plus près, ils ne sont pas tous danseurs. Il est nécessaire de retrouver son corps. Il n’est jamais tendu vers la représentation ni vers le public. Il est précisément là où il doit être. Marcher, c’est un travail. Il s’agit de retrouver la vitalité du corps sans faire quelque chose. Retrouver une respiration qui soit la plus proche d’une activité physique. Marcher, s’asseoir, se lever, tout ça doit être le moins représentatif, le moins démonstratif. C’est un travail de danse.

Y-a-t-il une méthode Maguy Marin ?

Elle revêt la forme de questions très simples : pourquoi fais-tu des petits rebonds ? Relâche toi ! Pourquoi tes mains sont-elles positionnées comme ça ? Je repère les tensions. Je fais en sorte qu’elles disparaissent de manière à ce que le comédien respire jusqu’au bout des doigts. C’est comme se délester d’un poids. Je suis frappée par la beauté si particulière du geste : respirer sur le plateau comme dans la vie.

Dans Y aller voir de plus près, on y mange aussi.

Des sucettes, des fruits, etc. Dans la vie, lorsqu’on raconte une histoire à quelqu’un, on n’est pas statufié, on mange, on boit, on se lève. Raconter une histoire, c’est donc la réinscrire dans la vie. Elle n’arrête pas le cours de la journée.

Selon vous dans quelle mesure cette archéologie de la mémoire qui est audio et visuelle peut-elle être éclairante ? Il y a du champ / contrechamp.

Que ce soit au Vème siècle avant notre ère ou aujourd’hui, les ressorts de la guerre sont les mêmes : jalousie, appât du gain, domination, etc. Il m’importe de faire le lien sans trop dire et éviter la démonstration. Il est important que le spectateur fasse son propre montage sous l’effet d’une mémoire presque involontaire.

Comment peut-on penser au théâtre la question de la représentation et celle de la démocratisation de l’accès à la culture à l’ère des populismes ?

Cette question est à la fois complexe et banale. Elle nous déborde constamment. Le plaisir de créer pour soi est aussi détestable que de créer pour les autres. Je ne veux pas éduquer les publics. Les artistes créent une culture parmi d’autres. En revanche, ce qui est certain, c’est que nous sommes des êtres humains. C’est bien sur ce terrain-là que nous pouvons partager nos questionnements et surtout faire débat.

La mauvaise conscience égalitaire confine souvent au nivellement par le bas. Comment la pièce Y aller voir de plus près peut-elle élever les consciences ?

Prendre pour principal matériau dramaturgique le livre La guerre du Péloponnèse de Thucydide peut appeler à la lecture, nous inciter à aller y voir de plus près : entrer dans les récits écrits par d’autres. C’est la chose la plus importante de la pièce : nous encourager mutuellement à lire.

Quels sont vos projets à venir ?

Je vais peut-être me reposer (rire). Dans un futur proche, je vais collaborer avec la Compagnie de l’Entresort dirigée par Madeleine Louarn et donc travailler avec des artistes qui ont un handicap. Madeleine Louarn est également présente au Festival d’Avignon avec sa création Gullliver, le dernier voyage. Elle fait un travail magnifique.

Visuel Maguy Marin © Tim Douet

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Sylvia Botella

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