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Emmanuelle Jouan nous parle de la Belle Scène Saint-Denis à Avignon

Emmanuelle Jouan nous parle de la Belle Scène Saint-Denis à Avignon

01 July 2022 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Du 11 au 20 juillet, le Théâtre Louis Aragon de Tremblay, en association avec Danse Dense prend ses quartiers d’été à Avignon pour le rendez-vous incontournables des amoureux de la danse contemporaine : La Belle Scène Saint-Denis. Rencontre avec Emmanuelle Jouan,  directrice du TLA, et surtout, militante de la culture. 

Tout d’abord, je souhaite revenir sur l’année dernière. C’était la première fois que le théâtre Louis Aragon prenait seul la Parenthèse. Que retirez-vous comme expérience de cette première année et qu’avez-vous appris de cette première fois ?

C’était magnifique, parce qu’on a pu éprouver ce qu’on est maintenant. Entre ce qu’on fait à Tremblay au théâtre Louis Aragon, ce qu’on fait dedans, dehors, dans les parcs, puis notre expérience d’Avignon ; tout le monde, équipe technique et équipe en général, est prêt à toutes ces aventures. C’est ce qu’on a pu éprouver. On est vraiment tout-terrain. Ce qui était aussi très joyeux, et pour moi très beau, en plus du partenariat avec le TGP, ou encore l’équipe de Jean Bellorini, c’était de travailler avec Danse Dense. La présence de Danse Dense a en effet permis d’avoir des échanges. Et comme toujours, le vécu, le partage avec les équipes artistiques était extraordinaire, tout comme l’accueil reçu quand on est là-bas. Donc on a pleinement vécu l’événement, et on a prouvé qu’on était capables de porter tant de choses. C’est une équipe extraordinaire. 

 

Vous pouvez dire que votre équipe est extraordinaire, pour les connaître ! On peut parler d’autonomie, finalement, du théâtre Louis Aragon. 

Complètement ! 

 

Et aussi de sa puissance sur le champ chorégraphique. 

C’est-à-dire qu’après plus de dix ans pendant lesquels on a éprouvé le territoire de la danse, après avoir amené de la danse partout, dans des endroits improbables, que ce soit sur le canal de l’Ourcq, dans les parcs, les gares, les aéroports… maintenant, il n’y a plus grand chose qui nous effraie. À Avignon, c’est plutôt simple, quelque part. 

 

Avignon, vous dites que c’est plutôt simple, avec un peu d’ironie. En réalité, il s’agit d’un rendez-vous auquel les professionnels sont particulièrement attachés et fidèles, puisqu’il a lieu au même endroit, la Parenthèse, une cour superbe. On sait qu’on va se retrouver à dix heures du matin, vers le 10-11 juillet. Il y a cet aspect rendez-vous et permanence du lieu, qui rend les choses fluides. Est-ce que revenir dans le même lieu, pour vous, c’est une forme de simplicité ?

Tout le monde joue le jeu d’Avignon. Bien sûr, les artistes et l’équipe connaissent les conditions dans lesquelles on travaille à la Belle scène. Ils les acceptent, même les demandent, parce que c’est un endroit à repérer pour la danse. Tout le monde espère y passer. C’est une forme de modèle vertueux de l’accompagnement de la danse. On fait notre travail d’accompagnement des parcours des artistes en Seine Saint-Denis, avec les résidences longues, les artistes associés, le partage de leur univers artistique avec le directoire… Puis on va jusqu’au bout en leur donnant une visibilité professionnelle grâce à la Belle Scène Saint-Denis, ce petit écrin magique. C’est ma façon de travailler. Quand on installe quelque chose, je dis toujours à l’équipe que c’est la durée qui fait le succès. Il faut donner le même rendez-vous, à la même heure, on fait cela partout. Par exemple, on travaille au Parc Forestier National de la Poudrerie de Sevran-Livry, où depuis deux ans on a une saison qui s’appelle la Belle saison à la Poudrerie. C’est le samedi, à 16h. Au début, il y a 10, 20, 40, 50, 100, 300 personnes… C’est la permanence du rendez-vous qui a cet effet, le fait que ça s’inscrive dans la durée, à condition que ce soit un rendez-vous juste. Si ce n’est pas un rendez-vous juste, il ne fonctionne pas. 

Le fait de tenir, c’est quelque chose qui est vraiment dans l’ADN de la maison. Il s’agit de tenir son prix, de tenir un projet artistique, aussi ambitieux que soit ce qu’on fait là, et où on est. Car l’endroit où on est, ce n’est pas la Seine Saint-Denis, au bord du périphérique. Avoir cette ténacité de dire qu’il faut maintenir, continuer à travailler, jamais lâcher, c’est inscrit dans notre ADN de travail. Donc Avignon représente aussi ce modèle, y compris dans l’accompagnement des artistes. 

Cette année, si l’on regarde la programmation, on est à la fois dans l’accompagnement d’artistes émergents, mais on souhaite aussi continuer à accompagner des artistes qui ont eu des parcours dans le temps. Parce que le fait de rester fidèle et tenace est constitutif de notre travail. Parfois, on a un modèle psychologique, un modèle d’accompagnement vertueux des artistes, respectueux, éthique ; c’est vraiment notre identité. Et je crois que si c’est aussi un rendez-vous pour les professionnels, c’est parce que les artistes qui passent à la Belle scène sont heureux. C’est important pour eux, et ils le racontent comme tel. C’est une parole qui traverse, qui court autour de ce moment-là. C’est à la fois un moment artistique, un moment de retrouvailles, et aussi un moment de restitution d’un travail qui se fait en Seine Saint-Denis. Il y a des politiques publiques qui mettent des moyens au service de projets artistiques ambitieux ; c’est là l’histoire de la Belle Scène Saint-Denis et de nos maisons. Pourtant ce serait tellement plus simple d’aller dans la facilité. Continuer d’avoir une ambition pour ce territoire, je crois que c’est important.

 

Parlons un peu de danse. Quand j’ai ouvert le programme, j’ai eu évidemment l’immédiate sensation de ce que vous venez de dire : que de fidélité ! Amala Dianor, Felipe Lourenço, Bernardo Montet… Ce sont des fidélités anciennes, des fidélités récentes aussi : Clémentine Maubon et Bastien Lefèvre sont des artistes associés au TLA, et on les voit partout. Ils sont notamment programmés à la Manufacture de Bordeaux. Et par exemple, je ne connais pas le nom de Joachim Modet. Je trouve que vous arrivez très bien à mêler grands noms, noms qui commencent à être connus, et noms qu’on ne connaît pas encore mais que, j’en suis sûre, on va adorer. Comment construisez-vous cette programmation de trois temps, donc neuf spectacles ? 

On reste sur le même format que l’année dernière. Le matin, les programmations sont celles du TLA, territoire de la danse, avec des artistes actuellement en résidence, comme Bastien Lefèvre et Clémentine Maubon, ou Balkis Moutashar, qu’on accompagne en 2022. Il y a ensuite des artistes qui ont été associés au TLA, et qu’on continue d’accueillir parce qu’ils ont des formes artistiques intéressantes pour la Belle scène. On souhaite aussi valoriser des artistes, car c’est un endroit qui nécessite de bien savoir où on est. Ce qu’on va proposer pour qu’un artiste soit bien à sa place et bien reçu est très important. Qu’il s’agisse de Bernardo Montet, Amala Dianor ou Felipe Lourenço, tous ces artistes ont été associés au TLA. Donc c’est une continuité, une fidélité comme vous disiez. Peu importe la génération, quelque part, à des artistes qui ont une nécessaire visibilité. Et concernant le soir, Joachim Modet, Mathilde Rance, ou Olga Dukhovnaya sont des artistes qu’on a choisis avec Danse Dense. Danse Dense est une association qui fait de l’accompagnement de l’émergence, ce qui représente un gros travail. Maintenant, en Seine Saint-Denis, Émilie Peluchon en était jusque-là la directrice, et il s’agit de l’un de nos partenaires. On choisit ensemble des artistes qu’elle accompagne pour leur donner une visibilité sur l’émergence. 

 

Danse Dense est également partenaire cette année ? 

Tout à fait. Comme l’année dernière. On a reproduit cette année le même modèle que l’année dernière car il était très bien. Il permet d’équilibrer la programmation avec des découvertes ou des regards neufs sur des artistes. C’est la raison pour laquelle on choisit avec Danse Dense les trois équipes qui seront présentes sur la programmation du soir. 

 

Mais par exemple, Amala Dianor est aujourd’hui un immense artiste : il est aux portes de centres chorégraphiques nationaux, il n’a plus rien à prouver du point de vue de la notoriété. Pourquoi quelqu’un comme Amala Dianor, que j’aime tant voir danser chez vous, vient dans ce lieu ? Il faut quand même rappeler que la Parenthèse est en plein air, à 10h du matin, sans lumières artificielles, avec de nombreuses contraintes au niveau du son ; les artistes se retrouvent dans une certaine fragilité. Certains disent qu’ils adorent aller à la Parenthèse, « On y va à poil et puis c’est tout » ! C’est vrai que c’est tout de même du corps, rien que du corps. 

Amala Dianor est au sommet en ce moment, cela comporte une part de transmission. Il le fait avec Wo-Man. Il se trouve aussi dans cette période-là de sa carrière, ce que l’on voit également avec Nangaline Goumis : il veut valoriser la jeune génération des danseurs venus entre autres du Sénégal. Elle nous a donné envie de faire voir tous les jeunes danseurs qui émergent, on souhaitait valoriser la transmission. Amala Dianor transmet Man Break à Nangaline Goumis, comme Bernardo Montet transmet Soleil du nom, la pièce solo qu’il avait créée en 2016, à cet artiste handicapé mental de la compagnie La Catalyse. On voulait aussi raconter la dimension de la transmission dans notre édition. C’est quelque chose qui nous semble important. C’est aussi parce qu’on voulait présenter le solo d’Amala et de Nangaline. Il s’agit ainsi d’équilibrer une programmation, des formes, des esthétiques différentes sur les programmes, pour que les professionnels aient le choix. On recherche une diversité des esthétiques.

 

Quand vous vous installez à la Belle Scène Saint-Denis, ce n’est pas uniquement pour faire des spectacles, il y a également des rencontres et une radio. Est-ce que vous pouvez m’en parler de ces à-côtés du festival ? Parce que c’est ça, pour moi, la Belle Scène Saint-Denis, c’est un festival dans le festival. 

Sur la radio, on a expérimenté de manière Rock’n’roll l’année dernière. Là, on est complètement prêts, ils ont même créé un studio, une radio. Cette année, on va avoir un espace d’une excellente qualité. Donc bien sûr, tous les jours, à midi, il y aura une rencontre avec les artistes.

 

Pourquoi installer une radio en marge de la programmation ? 

Pour moi, ce n’est pas en marge de la programmation, c’est toujours le même objectif. La radio est destinée aux personnes qui ne sont pas à Avignon. Comme on fait l’émission en direct, elle est diffusée directement sur Facebook et sur Instagram, donc elle est relayée par les artistes, et par les gens qui étaient au spectacle. Cela permet de donner une visibilité sur les réseaux sociaux, qu’il s’agisse de la programmation ou des artistes. Et puis c’est aussi une trace qu’on garde ensuite. On peut revenir sur toutes les émissions dans un format podcast. Il s’agit d’un prolongement de la visibilité qu’on veut donner aux artistes. Par ailleurs, le format radio est bien plus intéressant pour nous, car c’est l’expérience d’une rencontre spontanée pendant laquelle on pose des questions précises ; c’est cadré, cela permet de rentrer dans les contenus. Les artistes sont concentrés parce qu’ils ont un micro devant eux et nous donnons un format, une tenue à la rencontre. Dans tous les cas, c’est public, les gens qui veulent rester peuvent rester pour écouter, mais le format radio permet de prolonger la visibilité des artistes et de leur projet. On leur pose des questions sur leur parcours. C’est l’occasion d’approfondir et de mieux les connaître, de sortir du one shot, d’essayer de faire quelque chose qui soit une rencontre avec un parcours d’artiste. Et la radio, c’est vivant, ça nous ressemble. C’est bien notre image. 

D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle on va faire deux rencontres, deux émissions de radio, qui sont à la fois dedans et dehors. La première est pour la Beauté du geste, sur la présentation d’Olympia culturelle. En effet, on est engagés dans l’Olympia culturelle avec ce collectif des lieux de Seine Saint-Denis. Notre projet a été retenu pour l’édition 2024 avec l’ensemble des lieux de la Beauté du geste (MC 93, les trois CDN, Montreuil, La Commune, Le TGP Saint-Denis, les trois scènes conventionnées, la Courneuve, Saint-Ouen et nous, et puis le CND ). Clémentine Maubon et Bastien Lefèvre continuent donc leur résidence à Olympia culturelle, parce que jusqu’en 2024, on va accompagner l’événement avec un projet « arts et sports ». Ça s’appelle L’équipe de France danse contemporaine, ce qui conduira en juin-juillet 2024 à un défilé qui s’appelle « On ne voit pas ce défilé ». On va présenter ce projet-là à la Belle Scène, c’est le 11 juillet à 19h. Dominique Cardieu sera là, la DRAC aussi, ce sera une présentation publique. Donc tout cela, on va le faire en émission radio. Le but n’est pas que chacun prenne le micro et fasse son discours, mais qu’il y ait du dynamisme et de la rencontre. Des artistes seront présents, dont Clémentine Maubon et Bastien Lefèvre. 

La seconde rencontre aura lieu sur un autre réseau, Sillage, qui est le réseau des scènes conventionnées Danse, au niveau national, auquel on appartient. Donc ce sera le 13 juillet à 14h30. On va faire une rencontre autour de ce réseau qui accompagne tous les deux ans un ou une chorégraphe, en l’occurrence Sandrine Lescourant, qui sera là pour témoigner de l’aventure. Elle est donc accompagnée en diffusion sur ces 30 lieux de scène conventionnée danse au niveau national. On fait la boucle de tous ces lieux dans des formats à chaque fois propres à chaque lieu. Il y en a qui ont des petites scènes, d’autres des grandes, dedans, dehors… C’est la diffusion de tout le répertoire d’une compagnie pendant deux ans. On a travaillé pour savoir qui serait le prochain candidat à Sillage au cours des deux années à venir, ce qu’on annoncera le 13 juillet. 

C’est important pour moi, car quand je parle de la dimension « modèle vertueux », je pense à la Belle Scène, pour les questionnements d’aujourd’hui sur la production et la diffusion en général du spectacle vivant, esthétiquement, au niveau chorégraphique. Là, ce sont des modèles d’accompagnement, je n’ai pas d’autre mot que vertueux, pour la danse. Que ce soit le réseau Sillage ou que ce soit la Belle Scène, ce sont des endroits où l’on réfléchit. On veut vraiment donner une visibilité à des artistes en les accompagnant sérieusement. Et le réseau des scènes conventionnées danse en France est très important. Comme ce n’est pas un label comme CCN ou CNDC, il y a moins de visibilité. Pourtant, sans scène conventionnée, il y a un gros pan de la danse qui s’écroulerait en production et en diffusion au niveau national sans ces réseaux. Il faut le raconter.

La Belle Scène Saint-Denis, à la Parenthèse du 11 au 20 juillet. Programme complet et réservations ici.

Visuel : DR

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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