Danse
Cinédanse : Vicente Escudero, de la scène à l’écran

Cinédanse : Vicente Escudero, de la scène à l’écran

02 September 2022 | PAR Nicolas Villodre

L’exposition présentée jusqu’au 16 octobre 2022 au centre Federico García Lorca de Grenade, Coregrafía, bailes y danzas de Vicente Escudero, nous donne l’occasion d’évoquer cette figure majeure du flamenco, ses rapports avec la musique, la peinture et le cinématographe.

Chorégraphisme

Le commissaire de l’exposition, Pedro G. Romero, estime qu’Escudero ne fut pas seulement un créateur “allant de l’avant”, autrement dit : proposant des gestes inédits, mais également l’inventeur de ce que la plupart des aficionados du flamenco vénèrent le plus, le baile ancien. Le Castillan de Valladolid, réformateur, comme on sait, de la danse masculine andalouse, à l’instar de Moïse, transmit un décalogue personnel des plus rigoureux sur le plan esthétique voire éthique, des règles pour bien danser les palos qu’il révéla au public à partir de 1951. Paradoxalement, il fut capable toute sa vie, selon Romero, de se mouvoir sur “deux temps” (deux champs) à la fois : celui de l’avant-garde et celui de cette tradition chère aux puristes. Il danse hiératiquement, accompagné d’un tocaor ou d’un orchestre, parfois même en silence, ou au son d’un moteur d’éolienne, devant les pales d’un moulin quichottesque.

Ayant fréquenté à Paris les artistes les plus novateurs, aussi bien la danseuse Antonia Mercé, dite La Argentina, dont s’enticha le théoricien de la danse André Levinson, figure de la danse espagnole (au sens large) avec laquelle il créa en 1925 L’Amour sorcier de Manuel de Falla, que des peintres fauves et cubistes comme Kees Van Dongen, Georges Valmier, Jean Metzinger, il en vint à créer, à l’instar de Nijinski, son propre système de notation chorégraphique à l’aide de signes rappelant ceux utilisés par Vladimir Stepanov mais aussi l’écriture-bâton des écoliers et, plus près de nous, l’alphabet plastique d’un Riccardo Licata. Sans prétendre avoir été un artiste peintre comme son ami Joan Miró qui l’aida à la fin de sa vie à Barcelone, Escudero esquissa sur le papier ses duos avec sa partenaire et compagne Carmita García; il dessina pour sa compagnie costumes et décors au pastel, à la gouache, à l’encre et à l’huile; il réalisa des affichettes (ou flyers) pour les spectacles de son cabaret parisien La Courbe.

Flamenco au masculin

Devenu célèbre après sa collaboration avec Argentina et ses propres pièces en 1928 à Pleyel et au Bal Bullier, il fut engagé par Jean Durand, l’auteur de la série des Onésime, Calino et autres Zigoto, pour le film muet La Femme rêvée (1929), tiré du roman éponyme de José Perez de Rozas, qui avait pour vedette Arlette Marchal et pour autres danseurs Harry Pilcer (le partenaire habituel de Gaby Deslys) et Conchita Montenegro. Escudero figure dans Noticiario de cineclub (1930) d’Ernesto Giménez Caballero, court métrage d’avant-garde alternant name dropping et documentaire  sur la banlieue madrilène, aux côtés de Rafael Alberti, José Bergamín, Luis Buñuel (caricaturé), Salvador Dalí, Gala, etc. Il apparaît aussi dans le musical produit par le pionnier du cinéma Jesse L. Lasky (qui avait invité Eisenstein à Hollywood en 1930, souhaitant l’intégrer dans l’écurie de la Paramount!) et réalisé par Alfred E. Green, Here’s to Romance / Le Mirage de l’amour (1935). Le journal Comœdia du 15 novembre 1936 nous apprend le retour en France d’Escudero après le coup d’État franquiste et le choc de la mort de La Argentina qui avait provoqué l’évanouissement du danseur.

Il évite de prendre parti, évoquant l’Espagne éternelle de Cervantes, de Vélasquez et de Goya  : “Cette Espagne-là, aucun parti politique, aucune guerre civile, aucun drame enfin, si effroyable soit-il, ne sera assez fort pour la détruire.” Il tourne sous Franco dans Castillo de naipes (1943) de Jerónimo de Mihura, avec Carmita García, Goyescas (1942) de Benito Perojo, avec Imperio Argentina, La Patria chica (1943) de Fernando Delgado, avec Estrellita Castro, La Revoltosa (1950) de José Díaz Morales, avec Carmen Sevilla et Toni Leblanc, Marujita Díaz, Pilar Cerezo, Fuego en Castilla (1957) de José Val del Omar, Con el viento solano (1966) de Mario Camus, avec Antonio Gades, Vicente Escudero (1968) de Vicente Diamante, Flamenco en Castilla (1970) de José López Clemente, court métrage, avec José Fernández « El Chaleco », María Márquez, Paco Cepero. Il produit un film illustrant son décalogue : Vicente Escudero, Bailes primitivos flamencos masculinos (1955) de Mura Dehn et Herbert Mater, dont notre ami José de la Vega fit don au musée Reina Sofia. Souhaitons que les deux heures de rushes de ce film culte qui se trouvent au Lincoln Center soient préservées en 4K ou mieux encore…

Visuel : Vicente Escudero, photo de tournage du film Here’s to Romance / Le Mirage de l’amour (1935) d’Alfred E. Green, coll. Biblioteca de Castilla y Leon, Valladolid.

Le Chaperon rouge de la rue Pigalle de Florence Hebbelynck
Festival du film francophone d’Angoulême : 52000 figurants sur les remparts de la ville
Nicolas Villodre

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration