Cinema
Cinédanse : Alwin Nikolais sous les caméras de Jac Venza

Cinédanse : Alwin Nikolais sous les caméras de Jac Venza

29 April 2021 | PAR Nicolas Villodre

Grâce à Dominique Rebaud et au groupe des anciens danseurs de Nikolaïs, nous avons découvert une archive rare, mise en ligne sur Youtube en décembre dernier, concernant ce chorégraphe majeur d’après-guerre.

par Nicolas Villodre

De la cinédanse à télédanse

Avec le recul, on reconnaît en France le rôle déterminant d’agents comme Bénédicte Pesle pour Merce Cunningham, Bob Wilson et Trisha Brown ou Thomas Erdos pour Pina Bausch, Carolyn Carlson et Alwin Nikolaïs. Un danseur de ce dernier, Joe Zina, a découvert ces jours-ci sur Youtube une pépite télévisuelle de 1959, Invention In Dance, qui a ému la communauté nikolaïenne et nous permet de souligner aussi l’importance de producteurs de films et d’émissions culturelles tels que Jac Venza. Invention In Dance est en effet le troisième numéro de sa série Time to Dance financée par la National Educational Television américaie, un organisme créé en 1952, à la fin de l’ère Truman, et la chaîne publique WGBH-TV de Boston. L’émission fut réalisée par Greg Harney et animée par Martha Myers. Les danseurs sont ceux de la Henry Street Playhouse Dance Co. qu’on n’appelait pas encore Compagnie Nikolaïs : Phyllis Lamhut, Murray Louis, Arlene Laub, Coral Martindale, Beverly Schmidt et Dorothy Vislocky.

Disons un mot de Jac Venza avant de détailler l’archive exhumée, probablement diffusée une seule fois à l’époque, en direct ou dans les conditions du direct, comme l’étaient les programmes de télévision avant l’usage du magnétoscope de type Ampex et de la bande vidéo deux pouces. Ce fils de cordonnier débute comme décorateur de théâtre avant de se recycler dans la production télévisuelle. L’une de ses premières émissions de danse (il s’intéresse à tous les arts et fait débuter de futures stars hollywoodiennes), Dance as a reflection of our times (1958), met en valeur Herbert Ross, danseur et chorégraphe (pas encore cinéaste) et l’American Ballet Theatre. Venza aborde tous les genres chorégraphiques : le ballet (cf. Classical ballet, 1959), le néoclassique, les danses du monde, le jazz et, avec José Limon ou Alwin Nikolaïs, la modern dance.

Alwin Nikolaïs dans le sillage de Mary Wigman

C’est d’ailleurs par les pionnières de la nouvelle danse que débute Invention In Dance. Trois photos sont posées sur une console un peu kitsch située dans un recoin du studio, qui montrent Isadora Duncan, Ruth St. Denis et Hanya Holm, danseuse et assistante de Mary Wigman sur Totenmal (1930) – d’après Marc Lawton -, qui, après une autre disciple de cette dernière, Truda Kaschmann, avait initié Nikolaïs à l’art de Terpsichore. Sima Borisovana Leake, élève d’Isadora, lui rend hommage avec un solo tourné en 1927, année de la mort de la figure tutélaire. Avec Radha, Ruth St. Denis revisite la danse indienne. Pour le reste, l’émission juxtapose et alterne les propos de Nikolaïs sur la danse et des extraits de pièces qui font maintenant partie de l’histoire : Kaleidoscope (1956), une esquisse de ce que deviendra Sanctum en 1964, Web et Noumenon, tirés de : Masks, props and mobiles (1953). Le tissu élastique de ce dernier exemple voilant les danseurs jusqu’à les rendre anonymes rappelle un peu le jersey recouvrant presque tout le corps de Martha Graham dans Lamentation (1930).

De même que Graham stylise la répétition dans le film de Peter Glushanok A Dancer’s World (1957) produit en 35 mm par Nathan Kroll – et qui a récemment inspiré un ballet de Benjamin Millepied -, Nikolaïs transforme la leçon de danse qu’est aussi cette émission de télé en pièce chorégraphique à part entière. De fait, ici, les séquences gestuelles soulignent des idées clairement énoncées – sans recours au jargon ou au vocabulaire technique, Jac Venza veillant au grain et à l’intention pédagogique de sa série. Les mouvements sont analysés, expliqués et leur motivation est détachée de toute velléité narrative ou représentative. Les enchaînements exécutés en solo (cf. Fixation dansé par un Murray Louis extrêmement confiné) ou en groupe (cf. Kaleidoscope) constituent plus que des illustrations par l’image : des recréations pour la caméra ou, comme on dira par la suite, des events. Peu de temps après cette Invention in Dance, Nikolaïs approfondira son style affirmé en le combinant à d’autres éléments personnels comme la projection de couleurs et de trames sur les corps dansants via le carrousel de diapos Kodak, la composition musicale grâce au synthétiseur, la danse pour le film grâce à sa collaboration avec le cinéaste underground Ed Emshwiller.

Vidéo : Invention In Dance.
Visuel : © Fondation Nikolaïs/Louis.

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Nicolas Villodre

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