Danse
Christian Rizzo : “Les Centres Chorégraphiques commencent à avoir la responsabilité de la danse”

Christian Rizzo : “Les Centres Chorégraphiques commencent à avoir la responsabilité de la danse”

01 June 2021 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Cette année, le Festival Montpellier Danse, propose, un peu par hasard, un “focus” sur les chorégraphes à la tête des Centres Chorégraphiques Nationaux. L’occasion pour nous de rencontrer Christian Rizzo, à la tête du CCN de Montpellier, ICI qui présente En son lieu du 5 au 8 juillet.

Est-ce qu’un Centre Chorégraphique doit être forcément dirigé par un artiste et, si oui pourquoi ?

Je pense que oui. Il y a les CDC [Centre de développement chorégraphique]. Sur le territoire, puisque là on parle d’une question territoriale et de façon de dispatcher la danse sur le territoire en France, le fait qu’il y ait d’un côté des Centres de Développement Chorégraphique d’une part et des Centres Chorégraphiques Nationaux d’autre part, cela permet un maillage global. Cela est important que des artistes soient à la tête des CCN. Mais, au-delà des artistes ce sont les projets des artistes qui dirigent. Ce n’est pas juste parce que c’est un artiste qu’il est à cette place. C’est parce qu’un artiste incarne un projet, avant tout.  Parce que c’est ça diriger une structure. Et ce que je trouve important, c’est de concevoir la vision d’un établissement autour d’un processus, dans sa globalité. Au-delà du travail de certains artistes, qui portent un projet peut-être plus large qu’essentiellement faire des pièces, on trouve dans ces maisons-là, la capacité de déployer la question du processus à tous les endroits et dans toutes les missions.

Vous êtes à la tête d’ICI depuis 2015 et vous êtes sans doute le plus protéiforme des chorégraphes, vous venez de la mode, du rock, des arts plastiques… Est-ce que vous avez la liberté de déployer vos casquettes sans mauvais jeu de mot… ici ?

Je suis arrivé au CCN avec une question, pas une affirmation. Le projet d’ICI c’est : Où se loge le chorégraphique ? Pour moi, il est hyper important de reprendre la question. Je ne suis pas une maison de la danse, je ne suis pas un centre de la danse, je ne suis pas une école de danse. Je suis un centre chorégraphique. J’ai arraché le mot chorégraphique comme un adjectif, pour me demander où est-ce qu’il se trouve. Est-ce qu’il n’y a que la pratique de danse ? Je voulais mettre de l’élasticité entre le mot danse et le mot chorégraphique parce que pour moi quand on regarde la façade de l’Opéra de Paris, il n’y a pas écrit « Danse », il y a écrit « Chorégraphie ». Pour moi tout le monde danse, par contre la question de la composition, de l’écriture du mouvement, de l’écriture spatiale etc. bien sûr se trouve dans certains projets de danse, parce que je continue à penser qu’il y a des projets de danse en chorégraphie, mais aussi dans le cinéma, dans la musique, les arts visuels, dans la pratique théâtrale voir même dans l’écrit. Et c’est ça que je cherche, c’est-à-dire, déployer la question du chorégraphique dans les champs et autour de certains projets de certains artistes en effet, qui inscrivent cette notion de chorégraphique de façon très forte dans leur pratique, quel soit de danse ou autre. Mais en tout cas la place du corps de la composition à partir du corps dans un espace donné est primordial.

Il y a un « Master exerce » au Centre chorégraphique. Le Centre est aussi une école, une université ?

Absolument, il a été initié quatre ans avant que j’arrive. En arrivant, j’ai beaucoup changé le master notamment dans ses modalités d’entrée etc. Et aussi de relier autant que faire se peut, le master dans le projet du CCN. Tout ça est un seul et même projet transversal. Le Master se fait en collaboration avec l’Université Paul Valery. Le master est porté par le Centre Chorégraphique et par l’Université, il dépend à la fois du Ministère de l’Education nationale et du Ministère de la Culture.

Donc c’est théorique et pratique ?

Absolument ! On essaie et on considère aussi que ce master continue à être un master expérimental parce qu’on invente des expériences. Même si petit à petit, on modélise la façon de poser le programme. Mais ça continue à être un lieu d’inventions et d’expériences. C’est un master expérimental, et c’est le seul en France. Ce qui nous importe c’est la question chorégraphique,  située au plateau mais dans la théorie aussi et donc dans l’écrit.

Pour Montpellier Danse vous présentez en public “enfin” votre nouvelle et belle création vue par quelques pros au 104,  En son lieu verra donc sa vraie première à Montpellier Danse, est-ce important pour vous de garder le lien entre le festival et ICI  ?

Oui, c’était programmé dans la saison d’ICI CCN. La création devait se faire au mois de novembre au CCN pendant la biennale des Arts de la Scène en Méditerranée. Ça n’a pas pu se faire donc j’ai proposé à Jean-Paul Montanari cette année, si ça l’intéressait, de présenter le solo vu qu’il n’avait pas été visible. Surtout, nous allons le jouer là où il aurait dû être créé, puisqu’on est dans le studio du Centre Chorégraphique. Donc pour moi ce qui est bien sûr important, c’est d’être à Montpellier Danse mais je dirai surtout de présenter le travail à Montpellier.

Il y a une particularité assez étonnante cette année à Montpellier Danse c’est ce “focus” CCN, vous êtes 6 à tenir des lieux : Angelin Preljocaj (Aix-en-Provence), Kader Attou (La Rochelle), Maud Le Pladec (Orléans), Thomas Lebrun (Tours) Rachid Ouramdane (Grenoble/ Chaillot – Théâtre national de la danse), et vous, à Montpellier. Est-ce qu’il y a une unité politique des CCN ? 

Je pense qu’il y a une unité dans la volonté, à partir de projets d’artistes, de vouloir justement déployer la multiplicité de la pratique chorégraphique en France. Cela est essentiel car la danse est très peu présente dans le paysage culturel. Ce qui fait l’unité, c’est que les Centres Chorégraphiques commencent à avoir la responsabilité de la danse presque essentiellement sur le dos. Je trouve bien qu’il n’y ait pas d’unité puisque ce sont des projets d’artistes, donc par essence, ce sont des projets très singuliers.

Entre les courbes d’Angelin Preljocaj et vos lignes droites, la diversité semble évidente.

Ce qui est important, aussi, c’est la façon de déployer son travail à l’intérieur des missions même qui nous incombent à tous. C’est là que je trouve intéressant le fait de diriger un CCN puisque nous avons un cahier des charges et des missions. Cela diffère d’un lieu à un autre. Nous sommes le seul CCN à proposer un master. Nous avons aussi des missions de programmations même si nous n’avons pas pour la plupart de moyens financiers pour la programmation.

Vous n’avez pas les moyens de vos politiques ?

La programmation n’est pas financée. Au CCN de Montpellier, ICI, la programmation n’est financée que par mes ressources propres. Si j’arrive à montrer des choses, c’est grâce à mes tournées.

Et c’est le cas pour tous les CCN ?

Non, certains ont un fléchage ou des moyens financiers pour faire la programmation… Cela dépend surtout de l’état financier de la structure.

Revenons à la question de l’unité, est-ce qu’elle existe sous une forme ou une autre ?

Je pense que l’unité qui existe est une tentative. Et c’est important que cela soit une tentative, de réflexion commune aux travers des CCN sur les questions de la place de la danse dans le paysage. Quels moyens y sont alloués, de quelle façon accompagner les compagnies. Et également, répondre aux grands enjeux de notre société : la mixité, la place écologique, la place des femmes, des projets dits quasi invisibles. On est en train de faire la programmation de l’année prochaine et on s’aperçoit qu’elle est ¾ féminine, mais comme la plupart du temps je dirais. Je pense qu’on essaie d’être vigilant ensemble à ces questions-là. Après, est-ce que ça rentre dans le projet de chacun ? Ça, c’est une autre chose.

Cela veut dire qu’il y du lien entre vous ?

Absolument, nous avons des réunions autant que faire se peut, on arrive à se rencontrer grâce à l’ACCN [Association des Centres Chorégraphiques Nationaux].

Est-ce que vous avez la sensation que ça crée de la porosité entre vos façons de chorégraphier ?

Non. Je dirai que ça dépend aussi à quel moment on arrive à la tête d’une institution. Moi, je suis arrivé à 50 ans, j’avais déjà posé des règles de travail et quelque part des aspirations même si elles sont constamment en mouvement. Mais j’avais déjà fait une grande partie de ma carrière avant d’arriver.

La question sous-tendue, c’est est-ce qu’il faudrait se mouler à un genre de spectacles pour plaire à un public ?

Je pense que ce n’est pas une histoire de CCN mais une histoire de productions. Je le disais plus haut, je n’ai pas de moyens de production en interne. Cela rejoint le travail en compagnie. Je sens qu’il y a aussi de temps en temps chez les producteurs des attentes pour leur propre lieu pour leurs propres envies, pour la relation qu’ils entretiennent avec le politique, avec le public etc. Mais je dirai que par chance, nous avons encore une marge de manœuvre. Et je pense que la reconnaissance tient au fait que nous avons un peu poussé des problématiques de composition et que nous avons déployé quelque chose. Mais je pense que le risque de plaire est beaucoup plus large que ça. On est dans une mondialisation aussi de l’art. Cette uniformisation me fait peur.

Que pensez-vous de cette présence forte des CCN à Montpellier Danse. C’est étonnant, cela pourrait être un outil. 

En réalité, quand je montre une pièce, je ne présente pas l’institution. Je ne présente pas les actions de formation qu’on fait, les actions de médiation, l’accompagnement des artistes etc. Je n’arrive pas en tant que directeur du CCN, j’arrive en tant qu’artiste. Il y a peut-être avant tout un focus sur la danse française. De fait, puisque les tournées sont hyper complexes avec l’internationale. Et donc dans ce focus de compagnies françaises, il y a automatiquement plus de directeurs de centre chorégraphiques. C’est peut-être là que se pose la question. C’est peut-être par la difficulté de maintenir un niveau international qui permet de peut-être redéployer un petit peu plus quelque chose du territoire national. La pandémie nous a obligé à nous recentrer sur un territoire plus local.

 

Le festival Montpellier Danse a lieu du 23 juin au 16 juillet. Tout le programme est ici.

Visuel bandeau : ©Montpellier Danse

Galerie :

Christian Rizzo ©Mario Sinistaj

AngelinPreljocaj ©Didier Philispart

KaderAttou ©CCNLaRochelle

MaudLePladec ©NicolasDespis

Rachid Ouramdane ©Géraldine Aresteanu

Thomas Lebrun ©Frédéric Iovino

 

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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