Danse
<em>Carmen</em> d’Antonio Gadès : la compagnie perpétue l’art du maître

Carmen d’Antonio Gadès : la compagnie perpétue l’art du maître

28 December 2012 | PAR Géraldine Bretault

Quelques mois avant sa disparition en 2004, le danseur et chorégraphe de flamenco Antonio Gadès avait monté une compagnie à la hâte, pour tenter de préserver ce qui représente son legs artistique : cinq ballets qui sont autant de jalons de l’art moderne du flamenco. Nous avons assisté à la reprise de Carmen (1983).

Pour créer « son » Carmen, Antonio Gadès était remonté à la source : il avait choisi de s’inspirer de la nouvelle de Prosper Mérimée plutôt que de l’opéra de Bizet. C’est donc une Espagne qui se donne à voir à travers le prisme de l’exotisme que nous dévoile Gadès, une Espagne dont les traditions puissantes et prégnantes avaient durablement marqué l’écrivain. De sorte que la transsubstantiation qui voit les danseurs d’un cours de flamenco se fondre dans leurs rôles tout au long de la pièce connaît son double dans la salle : l’affreux rideau du Palais des Congrès est vite oublié, nous voici transportés en Espagne.

C’est sans doute là la force du regard de Gadès : miser sur la sobriété du cante (les guitaristes et les chanteurs se mêlent aux danseurs sur la scène, comme dans les cafés où est né le flamenco), la force d’expression de la danse et la précision de la chorégraphie pour faire surgir des tableaux puissamment évocateurs à partir de trois fois rien. Nul décor, nulle fioriture inutile, rien que des tabourets et des chaises, et quelques faux miroirs. Ainsi, la canne du mari trompé tiendra lieu d’épée dans le duel qui oppose don José (l’amant de Carmen) au toréador, ou encore de verdugo lorsque le très sérieux toréador s’attellera à la mise à mort du toro qu’incarne avec drôlerie un vieux danseur ventripotent…

Une fois le récit lancé, quand le rouge sang de la robe de Carmen envahit le plateau face à un Don José racé et délicatement viril, le public adhère pleinement, ravi d’entendre au passage les grands airs de Bizet. Une incursion pourtant insolite du bel canto au milieu des chants de gitan qui émaillent la pièce. Dans ce registre, soulignons la présence envoûtante d’Angela Nuñez « La Bronce », dont le chant sorti des tripes se prolonge dans les mains vieillissantes mais agiles, lors d’une démonstration de danse brève mais applaudie.

Carmen l’ensorcelante n’échappera pas ici non plus à son fatidique destin, mais elle aura auparavant ravagé bien des cœurs, pasionaria de l’amour dont le souffle palpitant fait vibrer les côtes sous son justaucorps flamboyant. Si la présence quasi ininterrompue de l’ensemble de la compagnie sur scène contribue à l’effet de troupe et apporte une chaleur digne d’un authentique camp de gitans, on peut toutefois regretter le manque d’intimité dont le flamenco se nourrit profondément, lui qui est né dans l’exiguïté des cafés cantantes de Séville vers 1850. Cristina Hoyos, autre grande dame du flamenco qui avait créé le rôle de Carmen pour Gadès, y trouvait une parade judicieuse l’an passé sur la même scène : une sorte d’estrade en hauteur fermée par des rideaux était déplacée sur le plateau au gré de la pièce. Ceci pour dire que ce ballet, aussi réjouissant soit-il, ne doit pas faire oublier que le flamenco n’a pas vocation à raconter des histoires, mais à exprimer les tourments et le désespoir des âmes à travers les corps.

« Notre danse est douée de vie. C’est la danse d’une culture, à travers laquelle s’exprime l’âme de tout un peuple. Ce n’est pas une danse froide, mais la manifestation de ce que ressentent ceux qui interprètent un état d’esprit par le biais de la danse. Ils s’expriment par leur corps. » Antonio Gadès

 


Crédits photographiques © Javier del Real

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Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

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