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[BERLIN] Maillot | Millepied : Cocorico pour le Staatsballett Berlin

[BERLIN] Maillot | Millepied : Cocorico pour le Staatsballett Berlin

08 March 2017 | PAR Samuel Petit

Le Staatsballett présentait ce mois-ci au Deutsche Oper la première allemande de deux oeuvres de maîtres de la scène du ballet contemporain français, Maillot et Millepied : une soirée en forme d’hommage à une certaine tradition et de concession à une certaine idée de la modernité.

 

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Les Allemands parlent volontiers de “Abend”, le soir, pour désigner une représentation. Ainsi, à la sortie d’un spectacle, il n’est pas rare que l’on entende de l’autre côté du Rhin que le “soir” fût beau, réussi, surprenant ou décevant. Qu’en est-il dès lors lorsque on assiste à plusieurs représentations dans la même soirée ? Pour nos voisins germanophones, la réponse est toute trouvée : on parlera de Doppelabend, de “soir double”, tout simplement.

La francophilie, en particulier en matière de culture et d’art de vivre à la française, est un phénomène à la peau dure en Allemagne. Une francophilie dont les autorités françaises sont bien conscientes, et que ces dernières par le département culture de l’ambassade et son “bureau-export” n’ont de cesse de promouvoir. C’est donc bien évidemment soutenu par tout ce qui existe de présence consulaire et diplomatique à Berlin, à renfort de conférences et d’entretiens à l’Institut français, que le Staatsballett propose un programme composé d’oeuvres de deux artistes français majeurs : Jean-Christophe Maillot, directeur artistique et chorégraphe en chef des ballets de Monte-Carlo, et  le très médiatique Benjamin Millepied, jusqu’à peu à la tête du Ballet de l’Opéra de Paris.

Aussi, c’est une de ses créations en tant que directeur de cette institution, la symphonie chorégraphique de Maurice Ravel, Daphnis et Chloé, créée en 2014, qui fût présentée. Celle de Maillot, plus ancienne (2006), Altro Canto, se distinguait en premier lieu de l’interprétation faite de Ravel par son caractère de composition par le chorégraphe : grâce à un patchwork de musique baroque italienne joué sur enceintes et basé sur des morceaux de Claudio Monteverdi, Biagio Marini et Giovanni Girolamo Kapsberger, Maillot s’offre la possibilité d’emmener sa pièce exactement où il le souhaite, avec la plus grande liberté, tout en optant pour une musique faite de contradictions et, partant, aux rudes contraintes pour faire corps avec elle.

Altro Canto est sans aucune mesure la plus grande réussite de la soirée. Par son rythme, son écriture mais aussi sa réflexion sur le genre : car dans une discipline aussi marquée par des représentations traditionnelles que la danse classique, si proposer une pièce qui fasse sauter à ce point les codes de genre n’est peut-être pas totalement novateur, le faire en préservant la beauté propre à ce style est un fait remarquable. Ceci est permis avant tout par les guêpières, les jupes et les pantalons, blancs ou légèrement dorés de Karl Lagerfeld et que portent aussi bien danseurs que danseuses. Aussi les duos ne sont plus pensés pour des couples homme-femme, mais pour ce que doivent et peuvent apporter les danseurs et danseuses à la pièce : ainsi des hommes soulèvent d’autres hommes et des femmes soutiennent d’autres femmes.
C’est sans doute Maillot lui-même qui théorise le mieux sa pièce : la recherche d’harmonie se fait à travers les contradictions propres à la musique de Monteverdi, impliquant pour la chorégraphie les codes de la “gestique baroque” et ses ruptures de tons et de couleurs. Tous ces éléments composent en somme sa “dialectique”. Celle-ci trouve une traduction particulièrement pertinente dans le brouillage des genres, sinon dans leur effacement au profit de la complexité ou d’une certaine dualité de chaque individu.
Toute cette réflexion est mise en scène de manière très sobre : d’abord une, puis des bougies montant et descendant au gré de l’heure de représentation constituent l’unique élément scénographique, dessiné par l’artiste suisse Rolf Sachs. Dans la scène d’ouverture, on pense d’abord aux vestales, gardiennes du feu dans la Rome antique. La métaphore religieuse sera filée avec les lumières évoquant avec lustre les voûtes d’un cloître ou plus encore les formes monumentales d’une cathédrale, tout en légèreté. Les danseurs et danseuses, dans les séquences en groupe, en duo ou individuelles, à l’image des excellents solistes Elena Pris et Vladislav Marinov, s’élèvent avec cette “lumière presque liturgique”.

Pour Daphnis et Chloé, Benjamin Millepied confiait lors de sa conférence à l’Institut français que son ambition était avant tout de faire connaître cette œuvre remarquable de Ravel célébrée entre autres par Cocteau et créée en 1912 à Paris par la troupe de danseurs russes de Sergei Dhiagilev, dans une chorégraphie de Michel Fokine avec Vaslav Nijinski en soliste. Tout l’enjeu du travail de Millepied est dès lors de proposer une version moderne de l’œuvre de Ravel par sa mise en scène et des élément chorégraphiques, sans trahir la pièce originale. Faut-il rappeler que chacun des ballets des russes à Paris il y a un siècle constituait une révolution dans l’univers de la danse par les images et les mouvements inédits et subversifs ? Si on saluera volontiers la scénographie de Daniel Buren, toujours élégante et ne tombant jamais de le kitsch malgré les nombreuses couleurs flashy utilisées ou encore les impressionnants effets visuels par la vidéo introductive, on regrettera cependant le fait que la pièce ne bouleverse pas. Comme si Millepied à trop vouloir respecter l’œuvre s’était gardé de trop la toucher. On se laisse néanmoins emporter par le récit, par les épreuves qu’ont à surmonter les jeunes amoureux, bien interprétés par Arshak Ghalumyan et Elisa Carillo Cabrera. Quelques scènes se distinguent par leur efficacité et leur rythme toutefois, comme celle du rapt de Daphné par les pirates et celle de son évasion.

Au-delà de la nationalité des chorégraphes, il est difficile de trouver une véritable cohérence aux deux pièces présentées. Que l’intendant actuel de l’institution, Nacho Duato, fassent rentrer au répertoire ces deux chorégraphies néo-classiques peut être cependant vu comme une tentative de concilier la tradition du ballet avec ses codes avec une forme de modernité, sinon une concession faite à la danse contemporaine. Comme une réponse à l’annonce de la nomination de Sasha Waltz et Johannes Öhman à la tête de l’institution pour 2019, ce qui avait entrainé une véritable fronde des danseurs du Staatsballett à l’Automne dernier : la forme de double intendance étant jugée inadaptée d’une part, le profil artistique de Sasha Waltz trop éloigné de ce que doit être le ballet selon eux d’autre part.

Le public berlinois semblait en tous cas conquis par la forme de compromis trouvé par l’actuelle direction.

 

Photos © Yan Revazov

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Samuel Petit

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