Danse
1er temps d’un dernier hommage à Merce Cunningham au Théâtre de la Ville : de l’abstraction colorée à la blanche vivacité

1er temps d’un dernier hommage à Merce Cunningham au Théâtre de la Ville : de l’abstraction colorée à la blanche vivacité

16 December 2011 | PAR Liane Masson

L’avant-dernière étape du Legacy Tour imaginé par Merce Cunningham avant sa mort, tournée mondiale de la compagnie démarrée il y a deux ans et qui prendra fin le 31 décembre à New-York, se déroule en ce moment au Théâtre de la Ville, à travers deux programmes et six pièces. Avec Suite for Five (1956-1958), Quartet (1982) et XOVER (2007), la Merce Cunningham Dance Company nous offre un premier programme réjouissant, qui constitue un magnifique hommage autant qu’une traversée exceptionnelle de l’oeuvre de l’un des plus grands chorégraphes de notre temps.

 

 

La première pièce, Suite For Five, démarre par un solo qui nous permet de rentrer en douceur dans l’esprit cunninghamien. Un danseur au visage ouvert, vêtu d’un académique bleu, entre sous un éclairage de la même couleur et commence à danser au son du piano qui joue en live un morceau composé par John Cage. La musique est minimale, la danse l’est également. Les mouvements, d’une technicité extrême, sont exécutés avec une grande précision et une certaine lenteur. Le corps se déploie largement et tranquillement, s’immobilisant régulièrement dans des postures que l’on prend le temps d’étudier. Instants photographiques. Puis le mouvement repart… Pointes, sauts, arabesques et équilibres inouïs, si caractéristiques du maître de l’abstraction, sont appréciés pour leur originalité autant que pour leur virtuosité. Fin du premier solo. La lumière bleue se transforme en lumière jaune, et une danseuse en justaucorps (jaune lui aussi) entre à son tour. Elle est rayonnante. Son sourire et ses mouvements arrondis renforcent d’autant plus l’impression de douceur installée par le début de la pièce. Orange, vert, violet : d’autres danseurs et d’autres couleurs entrent en scène. Les duos, trios, quatuor ou quintet qui se forment et se déforment apportent une nouvelle dynamique et offrent le plaisir de l’interaction entre les corps. Les figures se créent maintenant à plusieurs, les lignes se croisent et les directions se multiplient. Ces danseurs aux bras allongés nous évoquent des oiseaux colorés ou des atomes éclatés, libres, sculptant l’espace à l’infini. Et l’on se dit que Merce Cunningham avait bien raison de ne pas encombrer sa danse d’intentions ni d’expressivité, puisque l’espace, le temps et le mouvement, envisagés sous toutes les combinaisons possibles, semblent bien en effet suffisants à produire de la surprise et de la beauté.

 

Après une courte pause, un fond bleu est découvert sur le plateau, cinq danseurs entrent dans des costumes aux tons plus automnaux que fluos, et  la composition sonore de David Tudor, semblable à un concert de vents violents, envahit nos oreilles. C’est Quartet, pièce créée une vingtaine d’années après celle précédemment présentée. On y retrouve le même vocabulaire gestuel mais on remarque cependant une nette évolution. Les démonstrations individuelles laissent ici place à un travail d’ensemble majestueux, où les mouvements synchrones et les jeux de miroirs apparaissent récurrents. On ressent une plus grande unité dans la construction de la pièce et on remarque que les relations entre les corps sont plus développées. L’exécution des mouvements est plus rapide, plus vive. Les danseurs voyagent beaucoup dans l’espace, circulent, tournoient, virevoltent. Ils vont parfois jusqu’à se fondre dans le sol, formant ainsi comme un amas de feuilles mortes, avant de reprendre leur manège hypnotique. Face aux angoissants souffles électroniques qui résonnent de plus en plus fort, leur ballet a quelque chose de très apaisant.

 

La dernière pièce, XOVER, est plus déroutante. Treize danseurs en académiques blancs se partagent la scène, habillée par une immense toile tout aussi blanche de Robert Rauschenberg. Une chanteuse lyrique se tient dans un coin du plateau, chantant de drôles de paroles dans de drôles de langues. Elle prend subitement une voix enfantine ou bien se met à hurler. Elle tape aussi dans ses mains, rit, aboie ou éternue, sur un mixage sonore surprenant, composé de divers bruits électroniques diffusés à plein volume. Les entrées et sorties des danseurs sont nombreuses, le rythme est très rapide et le mouvement ressemble à de l’agitation. C’est foisonnant, trop pour que l’on parvienne à se concentrer sur la danse. Les sollicitations – notamment sonores – sont trop nombreuses, trop agressives et trop perturbantes. On sort donc de cette pièce quelque peu étourdi, voire complètement déphasé. Mais cela fait partie des risques liés à l’expérimentation et on l’accepte. Il est en effet parfois intéressant de se sentir ainsi bousculé par une proposition audacieuse.

 

 

Cette traversée en trois étapes de l’oeuvre de Merce Cunningham fut donc aussi riche que passionnante et l’on s’attriste de savoir qu’il n’y en aura plus d’autres pareilles (puisque la compagnie sera dissoute au terme du Legacy Tour). On gardera donc précieusement en mémoire ce langage chorégraphique unique, cette danse à la fois angulaire et arrondie, souple et extrêmement tenue, visant la perfection tout en s’enrichissant de ses imperfections – qui existent nécessairement. Car si Merce Cunningham a toujours cherché à repousser les limites du corps et du mouvement, ce sont pourtant ces limites mêmes et l’impossibilité de les dépasser complètement qui fascinaient le maître. Les contraintes extrêmes qu’il proposait à ses interprètes n’étant en fait qu’un moyen de continuer à inventer, à créer, à danser.

 

 

 

 

 

Visuel à la Une : XOVER, Merce Cunningham Dance Company © Kawakahi Amina
Visuel 1 : Suite for five, Cédric Andrieux, Jeannie Steele and Company © Tony Dougherty
Visuel 2 : XOVER, Merce Cunningham Dance Company © Kawakahi Amina

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Liane Masson

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