Cirque
“Secret (temps 2)”: Johann Le Guillerm continue d’explorer les poésies de la matière

“Secret (temps 2)”: Johann Le Guillerm continue d’explorer les poésies de la matière

03 October 2019 | PAR Mathieu Dochtermann

Du 24 septembre au 20 octobre, Johann Le Guillerm investit l’espace chapiteaux de La Villette pour y montrer Secret (temps 2), une oeuvre qu’il travaille depuis 2012. C’est une proposition spectaculaire très singulière, non narrative, qui regarde d’avantage du côté des arts plastiques en mouvement, de l’architecture ou de la philosophie, que du côté des arts du cirque, même si l’artiste engage fortement son corps et met en permanence à l’épreuve de fragiles équilibres. Ce qui se passe sur la piste est à la fois étonnant, majestueux, intriguant, fascinant, et étrangement poétique. Une symphonie de mouvement et de figures précaires, une performance physique autant que mentale.

Un cadre à la (dé)mesure d’un spectacle hors normes

Quand le public entre dans l’espace de Secret (temps 2), il est déjà entouré des oeuvres de Johann Le Guillerm, puisque l’espace chapiteaux de La Villette est ceint par La Déferlante, à la fois sculpture et barrière, que l’établissement a commandé à l’artiste pour clôturer les espaces de cette partie du parc. Passée la tente du bar, on entre dans un second chapiteau où les gradins réalisent un compromis entre circulaire et bifrontal, puisqu’ils sont coupés par deux grands couloirs qui débouchent sur la piste, dérobés au regard par des bâches. La piste elle-même d’ailleurs est singulière: le parquet circulaire se prolonge par deux ponts qui permettent de rejoindre les couloirs, par où se feront les entrées et les sorties.

Le soin mis à penser et préparer cet écrin est évident, et la scénographie en elle-même est admirable, et regorge d’ingéniosité. En relevant la tête, on se rend compte qu’une partie de l’éclairage est le fait de deux surprenant projecteurs mobiles. Leur base est fixe, mais ils sont montés à l’extrémité de sortes d’accordéons qui peuvent être manipulés à distance par l’intermédiaire de fils et de poulies. Le système, entièrement manuel, n’est pas sans rappeler les contrôles d’une marionnette à fils, et permet d’orienter les projecteurs à distance, de les rapprocher de la piste ou au contraire de les replier dans en haut des mâts. Ce n’est pas complètement de l’ordre de l’anecdote: c’est au contraire caractéristique d’un spectacle où tout est pensé dans les moindres détails, où la main de l’homme et la gravité sont les seules forces agissantes, où la poésie du bois brut et des équilibres construits à la seule force du bras sont une négation de la nécessité de l’artifice.

Le cirque plastique d’un Sisyphe lunaire

Ce que Johann Le Guillerm propose dans cet espace, c’est une expérience singulière.

Elle tient certes du cirque, car l’artiste engage ici sa force musculaire, que ce soit pour animer les machines qui défilent sur scène, ou pour construire d’impressionnantes sculptures en bois qu’il dresse vers le sommet du chapiteau comme un défi à la gravité. Il joue également de son sens de l’équilibre, ici pour tenir une station précaire entre deux élans d’une machine-sculpture digne de Léonard de Vinci, là pour se percher au sommet d’une structure de bois qui tient à plusieurs mètres du sol sans clous ni aucun élément de fixation. La virtuosité dans la recherche des points d’équilibre, l’omniprésent danger de la chute, la confrontation du corps à la fois au poids et à la gravité, on retrouve bien là des éléments qui signalent Secret (temps 2) comme une œuvre de cirque.

Mais, en même temps, il est impossible de réduire ce qui se passe ici à cette seule dimension, tant la plastique et le geste de construction prennent de place. En effet, c’est un spectacle qui donne à voir l’objet, en ce que Johann Le Guillerm ne se présente jamais en scène sans être accompagné d’une de ses inventions, partenaires de jeu davantage qu’agrès, généralement construites en bois. Il peut s’agir de machines déjà montées, qui sont animées tantôt leur propre mouvement alimenté par la force de gravité, tantôt d’un élan imprimé par l’artiste lui-même qui les chevauche ou les tend, les manipule ou les guide. Il s’agit aussi de morceaux de bois brut, d’abord empilés sur scène, qui vont servir à ériger des sculptures éphémères défiant l’entendement, cherchant la hauteur, la spirale, tenant par la grâce d’un assemblage millimétré où le seul poids du bois va permettre aux planches de rester en place. L’attention du spectateur est donc, avant toute chose, captée par l’objet: c’est pourquoi cette œuvre difficilement classable emprunte aussi bien aux arts plastiques ou au théâtre de marionnette contemporain.

Poétique des corps dynamiques

Parfois, les créations nées des recherches de Johann Le Guillerm peuvent évoquer quelque animal prodigieux, escargot dans le cas de la Cyclette, bête fantastique au long cou pour Ondulante. On est en permanence à mi-chemin entre dynamique et statique, mais la proposition se tient de façon claire et forte. Il s’agit de bricolage et d’artisanat, il s’agit de l’homme dans son rapport à la matière et à l’instrument, il s’agit d’explorer des principes connus depuis des points de vue inconnus, d’accepter le risque et la difficulté, d’éprouver aussi le rythme créé par la répétition du même geste en boucle quand ce Sisyphe de la piste monte son Dôme pièce par pièce, ajustant inlassablement le bois au bois, hissant, poussant, corrigeant jusqu’au vertige.

Un peu Sisyphe, Johann Le Guillerm tient aussi bien d’une sorte d’Icare, qui conçoit ses sculptures pour approcher une vérité qu’il semble chercher en montant. Mais, en réalité, il ne faut pas s’y tromper: le terme de cette recherche n’est pas d’atteindre le soleil autant qu’elle est d’atteindre un équilibre entre ciel et terre, qui pousse ses forces jusqu’à l’intérieur même de l’être…

 

Distribution

Conception, mise en piste et interprétation
Johann Le Guillerm

Interprétation musicale Alexandre Piques
Régie lumière Cyril Nesci
Régie piste Franck Bonnot, Anaëlle Husein Sharif Khalil,
Julie Lesas
Conception lumières Hervé Gary
Création musicale Thomas Belhom
Construction machinerie lumière Silvain Ohl et Maryse Jaffrain
Création costumes Corinne Baudelot
Réalisation costumes Anaïs Abel
Réalisation des chaussures Antoine Bolé
Etudes de faisabilité des sculptures de cirque Sylvain Beguin
Réalisation des sculptures de cirque Silvain Ohl, Maryse Jaffrain, Lucas de Staël, Jean Christophe Dumont, Jean-Marc Delanoye, Georges Matichard

Visuel: (c) P. Cibille

Les hashtags deviennent réels au MAIF social club
“Tout doit disparaître” : Durant dix jours, une énorme manifestation chorégraphique remue jusqu’aux fondations du Théâtre de Chaillot
Avatar photo
Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration