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De la piste aux étoiles: “Campana” du Cirque Trottola marie la virtuosité au rêve

De la piste aux étoiles: “Campana” du Cirque Trottola marie la virtuosité au rêve

01 December 2018 | PAR Mathieu Dochtermann

Jusqu’au 22 décembre le Cirque Trottola plante son chapiteau sous les verrières du Centquatre, dans le cadre de la programmation hors les murs du théâtre de la Ville, pour présenter son spectacle Campana. Un cirque très théâtralisé, qui porte une grande attention à la consistance de ses personnages, à la place de l’imaginaire, à la force d’un lagage poétique qui s’invente dans l’alliance des corps, des paroles et des signes. Beau, joliment mis en musique, spectaculaire sans oublier d’être léger : du spectacle plein de générosité !
[rating=4]

Campana du cirque Trottola, c’est avant toute chose du cirque : des gradins, une piste circulaire, une musique entraînante, les repères sont là. Et, de fait, de numéro de trapèze en portés acrobatiques, la technique est là, et ce qu’elle implique de maîtrise, et ce qu’elle suppose de souffles suspendus et de cris d’étonnement étranglés. Les paillettes sont là, la prouesse aussi, la prise de risque n’a pas oublié de s’inviter à la fête.

Si ce n’était que cela, ce serait déjà bien.

Mais le Cirque Trottola, c’est aussi une grande attention donnée à ce que le cirque à de théâtral, à ce qu’il peut avoir de fragile et de poétique, à ce que des personnages bien dessinés lui apportent, à ce qu’un univers bien campé peut déployer. On est dans la veine d’un théâtre sensible comme le Cirque Plume, mais avec quelque chose de plus chaleureux, de plus proche, de plus direct. Et donc, il faut aussi s’attendre à de beaux monologues, à des clowns émouvants, à des images surprenantes autant que belles. A des surprises qui n’ont d’autre but que d’instaurer l’idée que la magie existe, que tout est possible, que le chapiteau est le lieu de tous les possibles.

On rencontrera dont l’éléphant le plus impressionnant et le plus éphémère de l’histoire du cirque – on regrettera même que son tour de piste soit si court. On comprendra que les coulisses, et particulièrement les dessous, sont habités – car il y a des tempêtes là-dessous, et des gens qui se sont aimés, et qui sont morts, nous confie le premier personnage à nous guider dans cette traversée onirique. On verra la piste se transformer en cadran d’horloge et décompter le temps de la vie humaine. On verra, et on entendra, et on acceptera d’autres réalités. Car le chapiteau est un temple, à condition qu’on y célèbre une cérémonie et qu’on y invoque les dieux, et le dernier tableau, fascinant, en sera la métaphore éclatante.

Au service de telles ambitions, il faut d’excellents interprètes. Les deux circassiens, Titoune et Bonaventure Gacon, sont impressionnants dans la diversité de leurs techniques. Excellents en portés acrobatiques, main-à-main et équilibre, ils surprennent en se révélant des clowns plein de nuances, et en réussissant à donner une très belle consistance à leurs personnages, par leur technique vocale et la maîtrise de leur expression corporelle. Bien sûr, nul ne peut exceller en tout en même temps, et sur certains agrès en les sentira moins gracieux, moins à leur aise. Mais, en plus de ce qu’on serait vraiment fâcheux de leur en faire grief, ils maîtrisent toujours suffisamment ce qu’ils font pour que les choses glissent et que le numéro suivant viennent aussitôt éblouir le spectateur.

Ils sont accompagnés par deux complices musiciens, qui se frottent occasionnellement à la piste : Thomas Barrière et Bastien Pelenc sont des multi-instrumentistes talentueux, des bidouilleurs sonores, qui s’attaquent de la manière la plus ludique à leur partie musicale. Le résultat est toujours bien dosé, entraînant, et amène un rythme et une couleur toujours justes aux endroits où les morceaux se jouent. De l’ouvrage artisanal de première qualité, un habillage sonore sur mesure pour un spectacle qui le mérite complètement.

Il est vraiment dommage que toute cette belle énergie, toute cette belle poésie soient quelque peu freinés par les contraintes techniques du spectacle ! En effet, les changements de scènes et d’agrès se font en bonne partie à vue, et sont en grande partie portés par les quatre interprètes, qui doivent alors sortir de leurs personnages, et brisent ainsi la continuité de leur présence. Ces opérations sont parfois très longues, et, même si elles sont parfois assez fascinantes, et qu’on ne rejette pas par principe le fait de « faire à vue », il nous semble ici qu’à ces occasions l’élan du spectacle se brise, et que le public a le temps, alors, de sortir de l’état de rêve et de suspension dans lequel il se trouvait. C’est un bémol, même s’il est petit, tant est grande la force d’entraînement des interprètes…

En somme, tout de même, Campana est un excellent spectacle, qui sait marier la prouesse circassienne à l’inventivité sonore et visuelle, en liant le tout d’une grande louche de poésie. Complètement et définitivement fréquentable !

conception : artistes du Cirque Trottola
en piste : Titoune & Bonaventure Gacon
aux instruments : Thomas Barrière & Bastien Pelenc
régie lumière et son : Joachim Gacon-Douard
fille de piste : Jeanne Maigne
costumes : Anne Jonathan
équipage chapiteau : Sara Giommetti, Guiloui Karl & Florence Lebeau
conseillers techniques, artistiques et acrobatiques : Jérémy Anne, Florian Bach, Filléas de Block, François Cervantes, Grégory Cosenza, François Derobert, Pierre Le Gouallec & Nicolas Picot
constructions : Scola Teloni, CEN.Construction, Atelier Vindiak & Lali Maille
maitre d’art : Paul Bergamo – Fonderie Cornille-Havard
visuels : Paille (décors cloche) & Nathalie Novi (peinture affiche)
production et diffusion : Marc Délhiat
visuels: (c) Philippe Laurençon

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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