Comédie musicale
Black Legends : un spectacle qui entre dans la légende du musical !

Black Legends : un spectacle qui entre dans la légende du musical !

19 December 2022 | PAR Mai Linh Tang Stievenard

1H50 d’hommage à la musique afro-américaine du cotton club à Beyoncé. Un spectacle sublime signé Valery Rodriguez qui retrace l’histoire de la communauté afro-américaine dans un tourbillon de rythme et d’émotions.

D’enchaîné à déchaîné : Let’s groove !

 

De Cab Calloway à Beyoncé en passant par Billie Holliday, les Supremes, James Brown ou encore Michael Jackson, Black Legends se présente comme une comédie musicale qui nous fait traverser un siècle de musique afro-américaine avec des chansons emblématiques interprétées en live. Au programme : 36 tableaux qui illustrent avec force les évènements historiques charnières pour la communauté afro-américaine.

 

Les rideaux s’ouvrent. Un homme apparaît. À terre, il tente de se relever, sans succès. Nous sommes au XVIIe siècle. Les voix d’hommes blancs clament le sinistre Code Noir. Le silence est assourdissant. Dans la salle, la seule lumière présente vient éclairer le corps de cet homme noir éprouvé par le poids de l’inégalité et du racisme. Quelques instants plus tard, les projecteurs se rallument. Nous sommes dans un cotton club des années 30 à Harlem. Un jeune chanteur en costume trois pièces nous livre une performance vocale et chorégraphique qui nous donne tout de suite le ton du spectacle. Galvanisé, il nous entraîne et nous fait répéter le grand titre de Cab Calloway : Hi-De-Ho. Les chansons sont reprises en chœur par le public qui tout au long du spectacle rendra lui aussi hommage à ces grandes figures de la musique afro-américaine. Les musiciens, situés en fond de scène accompagnent chanteurs et danseurs depuis leur échafaudage métallique. Une structure qui n’est pas sans rappeler les escaliers extérieurs de New-York ou les nombreux échafaudages présents dans la ville. L’édifice métallisé souligne la présence des instrumentistes avec les jeux de lumière et la réverbération des projecteurs venant intensifier son éclat. Une façon ingénieusement esthétique de rappeler l’omniprésence des musiciens et leur importance cruciale dans la magie du spectacle. Jazz, gospel, soul, funk, disco, hip-hop, chaque genre s’épanouit sur scène par des performances exceptionnelles. On ne peut s’empêcher de chanter les refrains de Baby Love des Supremes ou Think d’Aretha Franklin. On vous défie de rester assis à l’écoute des grands titres de funk et de disco comme You Make Me Feel (Mighty Real) de Sylvester ou Boogie Wonderland d’Earth Wind and Fire.

 

 

Les corps se déchaînent et se détendent dans un parfait mélange de rythme et de douceur. Nous sommes hypnotisés par l’atténuation des projecteurs qui nous plongent dans un cotton club à la lumière bleutée et par le jeu de lumière stroboscopique rappelant le rayonnement des boules à facettes. Un envoûtement amplifié par un tourbillon de costumes depuis les tenues d’écoliers bien rangés durant la période de ségrégation raciale jusqu’aux coupes afro et aux pantalons pattes d’eph dans les clubs disco. En groupe ou solo, chanteurs et danseurs enfièvrent le public par leur talent et excèdent la scène en dansant dans les rangs. Impossible de résister au groove !

Si nous ne parlons pas la même langue, la musique, elle, est une langue universelle. Elle nous émeut et nous fait vibrer par l’histoire qu’elle raconte. Black Legends n’est pas qu’une comédie musicale. C’est une histoire, des témoignages portés par les artistes qui investissent des rôles et nous sensibilisent au vécu de la communauté afro-américaine.

  

Say It Loud – I’m Black and I’m proud

 

Si notre cœur s’emballe sur du Michael Jackson ou du Tina Turner, il s’arrête aussi face à la violence de certains évènements historiques, de certaines scènes éloquentes qui nous fouettent par leur réalisme et leur cruauté. Le talent des artistes qui dansent de toute leur âme et chantent de tout leur cœur concrétisent des scènes qui nous choquent, tant nous avons l’impression d’être témoin direct de leur vie et de leurs drames. On est émus par l’histoire de Strange Fruit de Billie Holliday en début de spectacle, partageons l’horreur des sévices infligés par le Ku Klux Klan et les lois Jim Crow. Nous sommes heurtés par la performance de No More Drama de Mary J. Blige et la scène qui l’accompagne, témoignant de la violence viscérale d’un couple du Bronx. La danse s’effectue dans un état de tension, de fureur à peine contenue, de coups portés, de mouvements aériens mimant les corps qui se repoussent dans un élan de hargne. Une scène terriblement belle et affreusement réaliste qui nous prend aux tripes. Un spectacle qui alterne entre électrisation du public et sensibilisation par un jeu poignant.

 

En chantant, en dansant, on nous raconte cette histoire de la communauté afro-américaine. Une histoire empreinte d’horreurs, de discriminations mais aussi de lumière et d’espoir. Quand les simples discours ne suffisent plus, il faut chanter et danser. Ce spectacle n’est pas qu’un musical, c’est aussi une œuvre engagée. La musique est le récit : celui de tout.e.s ses afro-américain.e.s qui ont tant souffert, qui se sont battues et continuent à se battre avec fierté pour l’égalité et le respect de la génération suivante. Say It Loud – I’m Black and I’m Proud, chantait James Brown. Le spectacle donne la parole à des voix qui chantent avec passion l’histoire de cette communauté pleine de résistance et d’espoir. Une résilience figurée par des icônes telles que Martin Luther et Barack Obama dont les célèbres discours « I Have a Dream » et « Yes We Can » résonnent dans des hauts-parleurs comme des voix lointaines mais pourtant si présentes sur scène. Les extraordinaires performances artistiques sont entrecoupées de témoignages poignants d’échec, de réussite, de violence, de haine et d’amour dans un climat de ségrégation raciale, d’émancipation progressive et d’espérance. Les corps, les voix et la musique expriment toute l’émotion de ce combat qui a contribué à la construction identitaire des Noirs Américains. Valery Rodriguez nous propulse d’époques en époques, de rythmes caressants en rythmes fracassants pour notre plus grand bonheur. Et c’est peut-être sur ce voyage à travers les différents épisodes historiques que nous pouvons nous arrêter. Si le début du spectacle s’inscrit au XVIIe siècle, il semble que nous passions trop rapidement à la période des cotton clubs. Il aurait été sans doute été intéressant d’illustrer le travail dans les champs de coton et de cannes à sucre par un tableau consacré aux work songs afin d’être peut-être moins expéditif. Mais nous ne pouvons reprocher à Rodriguez d’avoir sélectionné des chansons emblématiques et fait un choix : celui de nous offrir 1h50 de pur bonheur.

 

Un spectacle mythique, un spectacle…légendaire ! 1h50 ? Le public en redemande ! Rodriguez parvient à nous placer dans un état de plaisante frustration. En témoigne la standing ovation de fin. La première chose qu’on fait en sortant c’est chanter et réécouter ces grands titres brillamment interprétés. Black Legends est un tourbillon d’émotions et de sensations qui nous laisse des étoiles dans les yeux et le rythme dans la peau.

 

Jusqu’au 26 mars 2023,  suivi de 2 ZENITH les 8 et 9 avril

Théâtre Bobino, 14-20 Rue de la Gaité, 75014

 

Visuel : Affiche Black Legends / © Bobino

Photos Black Legends / © Nicolas Friess – Agence Hans Lucas

Agenda de la semaine du 19 décembre
Dans l’œil de Maria Helena Vieira da Silva
Mai Linh Tang Stievenard

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