Musique
<em>Solitude</em> Ou, <em>Le jour où Tony Iommi inventa le Metal</em>

Solitude Ou, Le jour où Tony Iommi inventa le Metal

15 December 2012 | PAR Arnaud Berreby

Selon une récente étude de l’INED parue ces dernières semaines 8,8 millions de français vivent seul, soit 14% de la population- chiffre en très nette augmentation- à titre comparatif, il était de six pour cent en 1962. Constat inquiétant du niveau de solitude existant dans notre pays.

A noter que les femmes sont plus touchées que les hommes, conséquence-entre autres- de la multiplication des divorces, beaucoup d’entre elles élevant leurs enfants seules avec parfois les difficultés matérielles que l’on peut imaginer.

Alors, ce constat nous afflige et nous oblige à réagir comme il se doit nous, à Toute La Culture, dont la modeste vocation réside dans l’échange, le partage, la communauté universelle.
Notre Weltanschauung- vision du monde- s’en trouve contrariée comme un champs des possibles à l’horizon lamentablement obstrué, tristement rabaissé.
Le si réducteur principe de précaution est désormais appliqué au sein des relations humaines : au moindre risque, l’on préfère exercer son droit de retrait.
Mais la solitude est des symptômes prodromiques d’une société malade.

Où sont passés nos idéaux de vie communautaire issus des utopies de mai 1968 ?
Même une communauté réduite à sa plus modeste expression c’est à dire deux individus compilant leurs rêves ou leurs détresses, leurs délires ou leurs phobies n’aura donc t-elle même plus sa place ? – ne sera t-elle bientôt qu’une vague réminiscence que les sociologues du futur étudieront avec un sourire narquois posé sur leurs lèvres glaciales de chercheurs désincarnés ?
Evanoui, dissous dans les méandres du quotidien où, dans nos sociétés actuelles, l’humain, balloté, bousculé, méprisé- y compris dans sa plus stricte intimité (pensez vous monsieur, 75000 viols par an !) ne trouve même plus la force, le ressort, de se poser, se reposer, plonger dans les délices d’une vie intérieure contemplative propice au lâcher prise, à l’indispensable réflexion dans un espace-temps qui se fige enfin.

Comment, dans ces conditions, se tourner vers l’Autre pourtant cet autre moi frère-miroir en détresse ? La capitulation est reine, l’on préfère vivre seul plutôt que de composer avec ce qui fait le sel de la vie : nos différences.
On ne choisit donc pas la solitude, c’est elle qui nous guette d’abord en toute discrétion, nous hante ensuite pour enfin nous étreindre en un long baiser de la mort, nous éteindre, sale cafard, espion de l’intérieur…

Plaidons pour un nouveau contrat sociétal et social, revitalisons nos relations les uns avec les autres, au niveau individuel -cure métapolitique salvatrice- pour que, par contiguïté communicative, la peur, la suspicion disparaissent de nos cerveaux malades saturés de ces visions réductrices ingurgitées au Saint journal de 20 heures. Sortons de nos prisons mentales, allons vers l’Alter et quoi de mieux que la culture pour tous pour fédérer nos diversités ?
Mais pas cette culture élitiste et branchée tendance parisianiste que nous abhorrons, non, notre Kulturkampf est bien une guerre paisible gravée aux armoiries de l’universel.
La culture et son corollaire la tolérance, l’ouverture sur autrui, l’amitié, l’amour : nos ultimes patries.

Et si il le faut, nous emploierons des moyens légaux…
Mais revenons à la musique, amie fidèle de nos nuits d’introspection.
Nous évoquons la solitude : c’est le titre d’une chanson du groupe de Heavy Métal Black Sabbath (Master of reality ; 1971), fondateur d’un genre injustement méprisé en France, adulé dans le reste de l’univers !
Il s’agit d’une ballade crépusculaire sous une lune sombre et glacée, récit d’un amoureux abandonné tellement seul, en but aux moqueries de sa moitié, ambiance pluvieuse dans le Surrey : morceau dépouillé, une basse ronde en lévitation, ombre planante tutélaire qui rode dans vos parages, une guitare à peine électrifiée, une flûte mélancolique à la Ian Anderson, Ozzy Osbourne au chant murmuré et pour toute percussion une clochette qui tinte tout au long du morceau comme pendue au coup du malheureux en perdition, pauvre Assuérus condamné à errer de village en village :

« Mon nom ne vous dit plus rien,
Mon sort vous indiffère (…)
Le monde est une planète seule
Dans lequel tu te perds »

Il faut dire que ces gars là s’y connaissent en solitude :
Le leader et guitariste du groupe Tony Iommi, quatre années avant la parution de cette chanson, est alors ouvrier métallurgiste en sa bonne ville de Birmingham et, parallèlement, trouve un début de reconnaissance dans la sphère musical des mid-sixties.

Il présente sa démission à son patron, tout heureux de pouvoir se consacrer enfin à temps plein à sa passion. Le dernier jour d‘usine arrivant, il rechigne à se lever, ce que sa mère n’accepte pas : « Un Iommi tient parole jusqu’au bout, va au boulot ! », lui dit elle, elle, cette fille d‘immigrés italiens anarchistes, qui ne plaisante pas avec les principes !
Maugréant, il obéit à sa mama et, à moitié assoupi, se rend en trainant à l’usine.
Mais Sister Morphée, la belle endormie, n’aime pas plonger ses petites lèvres dans les délices du coït interrompu ! La tête déjà dans les Cumulonimbus de sa gloire balbutiante, notre Tony se sectionne les deux premières phalanges du majeur et de l’index-et de la main droite qui plus est- lui, le gaucher !- sous les machoires d’une machine outil !

Bienvenue sur cette planète froide qu’on nomme solitude : tous ses rêves s’envolent, allongé sur son lit d’hôpital, il déprime bien entendu…
Son patron lui rend visite, tente de lui remonter le moral en lui offrant un disque de l’immense guitariste Django Reinhardt qui, lui aussi, avait perdu l’usage de deux doigts dans l’incendie de sa roulotte : « Tony ! Suis son exemple, il est devenu le plus grand malgré son infirmité, bats toi ! »
Il trouvera le ressort, cette fameuse force résiliente qui peut tout surmonter.
Il adapte deux dés à coudre sur ses moignons de doigts, détend les cordes de sa guitare pour que le jeu soit moins douloureux créant de ce fait un son plus grave, une ambiance novatrice plus lourde, envoutante : Le Heavy-Métal venait de naitre !

Long live Rock’n’Roll !

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