Musique

Seven Seas, d’Avishaï Cohen : du fort est sorti quelque chose de doux

03 March 2011 | PAR Hassina Mechaï

Comment créer une musique cérébrale tout en restant sur la juste note émotionnelle ? Comment concilier la précision d’une composition musicale minutieuse et classique, avec la liberté et l’esprit du jazz ? Comment mêler harmonieusement chansons en hébreu, yiddish, ladino et sonorités résolument modernes et pourtant incroyablement atemporelles, comme suspendues ? Comment créer une musique qui fait chalouper le corps, tout en agitant l’esprit ? Comment mêler l’instant et l’éternité ?

C’est le tour de force (de magie ?) que réussit encore une fois le jazzman israélien Avishaï Cohen sur son douzième opus, Seven Seas. Cet album est une énergie musicale qui va sereinement et il reste, après écoute, comme l’écho de l’orage dans une nature apaisée.

Ce contrebassiste virtuose livre ainsi un album tout en profondeur et infiniment nuancé. Lier ce qui semble, a priori, inconciliable, dans un même mouvement et dans une même émotion : voilà ce qui caractérise ce véritable paradoxe musical. A partir d’une berceuse hébraïque triste et mélancolique (“About a Tree”), il réussit à recréer un morceau certes toujours mélancolique mais également étrangement joyeux. Oxymore musical? Oui, si la mélancolie est précisément « le bonheur d’être triste ».

“Hayo Hayta” offre une ligne mélodique qui semble comme volontairement déstructurée, avec un léger twist qui la décale d’une trajectoire mélodique qui semblait toute tracée. Et toute l’originalité de ce morceau tient à ce léger décalage, à cette ellipse harmonique volontaire.

“Seven Seas”, la chanson-titre, est également une merveille d’énergie sereine. Encore une fois, la façon qu’a cet artiste de mêler en synergie l’eau et le feu, le calme et la tempête sur un même morceau demeure un mystère. Mystère qu’il n’est évidemment pas utile de percer, seulement d’apprécier. “Tres hermanicas eran”, chantée en ladino, a comme le parfum suranné d’une comptine enfantine. Les arrangements, tout en subtilité, lui confèrent pourtant une modernité anachronique. Là encore, paradoxe…

Un léger regret toutefois : la voix de l’artiste est moins présente sur ce nouvel opus que sur le précédent album, Aurora. A l’exception de “Halah” et “Tres hermanicas eran”, sa voix est légèrement posée, pareille à un instrument de musique, comme volontairement ombrée. Or, sa voix était sur Aurora une révélation certaine, toute en volutes et vibrations ; et elle poussait le mimétisme à adopter pratiquement la tessiture de sa contrebasse.

Seven Seas, album numéro 12 présente 10 morceaux voguant sur 7 mers : 3 chiffres joliment symboliques qui augurent peut-être d’un cycle artistique qui se clôt et d’un autre qui s’ouvre. Car la musique d’Avishaï Cohen a ceci d’étonnant qu’elle se situe au-delà de ses influences et  n’en est pas la simple combinaison; elle serait comparable à un miel musical né d’abreuvements à des influences diverses. Et de ce pluriel serait né alors ce singulier.

La structure musicale toute en vagues, entrelacs ordonnés et contrepoints parfaitement coordonnés nous laissent penser évidemment à Bach. Mais Avishaï Cohen n’est pas que dans Bach. Certains morceaux (dont “Staav, Working Song”), avec un usage d’accords espacés et staccatos, ont quelque chose de très « rachmaninovien ». Mais Avishaï Cohen n’est pas que dans Rachmaninov. Le rythme énergiquement insufflé et cadencé par les darboukas, la note claire de l’oud, tout cela empruntent à la fièvre festive orientale. Mais Avishaï Cohen n’est pas que dans ses racines méditerranéennes. Sa façon d’utiliser sa contrebasse, évidemment comme un instrument à cordes, mais également d’en forcer sa nature pour en faire un instrument de résonnance s’inspire du jazz afro-cubain. Mais Avishaï Cohen n’est pas que dans ce jazz coloré. La présence affirmée du piano et parfois des cuivres, sur le morceau Ani Aff par exemple, joue la carte du jazz traditionnel. Mais Avishaï Cohen n’est pas que dans ce jazz « old school ».

Sa musique est ailleurs et elle a la générosité de nous emmener avec elle. Elle n’a pas la prétention de se croire destinée à quelques « happy few » du jazz qui considèrent hélas parfois trop souvent que ce qui est mélodique et mélodieux est forcément superficiel et qu’à l’inverse, l’obscurité et la lourdeur de la musique est gage de sa profondeur. Car dans cet univers parfois trop orthodoxe du jazz, Avishaï Cohen est un passeur, qui a l’air de se moquer royalement des chapelles, des frontières et des étiquettes. Talent, honnêteté et liberté, que demander de plus à un artiste ? Et Seven Seas est à l’image et à la ressemblance de son auteur…

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