Pop / Rock
[Live report] Fyfe, Buvette et Samaris au Divan du Monde

[Live report] Fyfe, Buvette et Samaris au Divan du Monde

10 December 2014 | PAR Bastien Stisi

Hier soir, le Winter Camp Festival introduisait sa troisième édition sur trois territoires différents par le biais de trois soirées aux sonorités divergentes (règle de trois) : une soirée garage et shoegaze à Nantes (Jessica93 + The Wytches), une soirée rock / folk envouté à Tourcoing (PS I Love You + She Keeps Bees), et une soirée plus dream-synthétique à Paris (Fyfe + Buvette + Samaris).

Fyfe : from London with (pop) sadness

Et puisque Pigalle est direct en métro (contrairement à Nantes et  Tourcoing), c’est au Divan du Monde que l’on a pris le parti de se poser hier. On y trouva donc d’abord le Britannique Fyfe (aka Paul Dixon, ex David’s Lyre), secondé sur scène par un percussionniste en charge de la batterie électronique, qui fera graviter durant une grosse demi-heure les effluves émanant d’un premier album prévu pour le mois de mars (le nommé Control), un objet discographique que l’on sait déjà écarté entre les élancées pop soul de Chet Faker (« Holding On », « Lies ») et les complaintes cafardeuses de Deptford Goth (celui-ci a d’ailleurs excellemment remixé son tube « For You »).

La voix s’avère d’une justesse parfaite, la performance d’une sobriété et d’un minimalisme adapté, et le timbre de ces « Conversations » – qui auront ouverts la soirée devant un public encore clairsemé et cependant concerné – est déjà destiné à se modifier de manière notable.

Buvette : passeport pour l’ailleurs

Car dans la foulée, c’est le baroque français Buvette que l’on retrouve sur scène (évitons d’emblée tous jeux de mots liés aux évocations d’alcooliques de PMU…) Celui-ci est  issu de la folle famille Pan European (également responsable des énergumènes Poni Hoax, Koudlam, Judah Warsky ou autres Flavien Berger), et cette filiation génétique et discographique ne surprendra personne (ou en tout cas personne d’initiée aux performances scéniques liées aux groupes du petit label parisien…)

C’est que ce voyageur revendiqué, dont le passeport doit sûrement comporter pas mal de coups de tampon à la vue des sonorités qui se dégagent de son live, porte une cape de super quelque chose (de mémoire, l’élément vestimentaire est suffisamment rare pour être noté…), assume un look de junkie détendu (mais peut-être un peu tendu quand même), se cache parfois derrière sa table de mixage comme s’il voulait disparaître un instant…et l’on espère que ce n’est pas par honte : car The Never Ending Celebration, cet album d’ethno dream pop tordue et synthétique, s’il est largement passé cette année entre les mailles du filet de la hype, s’avère en réalité l’un de ses plus passionnants spécimens. Les flûtes de pan dialoguent en effet ici avec les synthétiseurs, avec les basses profondes, avec une électro de cérémonial aztèque, avec une voix vocodée qui se tord, se mêle et chante merveilleusement faux, de la même manière que le fait celle de son très proche cousin Koudlam (ou en tout cas de celui de Live At Teotihuacan et de Goodbye, plus que celui de Benidorm Dream, qui vit l’auteur de « See You All » découvrir la rave sous camisole de l’affreuse cité balnéaire du sud de l’Espagne). L’album est sans doute encore à écouter en studio plus qu’en live, mais implique une promesse : en remplaçant les machines par des humains (ou par des canins, puisque l’on croit reconnaître l’aboiement de chiens criards sur « Paranomica Del Fortin »), ce live-là pourrait finir par devenir grand.

Samaris : dans l’ombre, la beauté 

Il se hissera alors un jour peut-être au niveau de celui proposé quelques instants plus tard par Samaris, ce trio islandais composé de deux filles au chant (une souffle aussi dans une clarinette) et d’un garçon en guise de chef d’orchestre électronique, un trio signé sur le label londonien One Little Indian, dont on sait que celui-ci attire comme un aimant stalactite – parce qu’il doit son succès à l’ascension de la compatriote Björk – le moindre artiste indie en provenance de Reykjavik (on y trouve ainsi notamment Ásgeir et Ólöf Arnalds).

Alors, Samaris joue à fond la carte du mysticisme sensuel, évoque d’abord naturellement la plus grande figure de l’indie pop islandaise, mais s’en détache aussitôt en évitant les spasmes névrotiques et les déflagrations sonores liés à la folle auteure de Biophilia. Car l’on favorise ici avant tout la beauté, compliquée mais pure. Et on demeura dans l’ombre durant une grande partie du concert. Les néons cisailleront alors délicatement les silhouettes, dont on aura simplement besoin de deviner les formes afin de comprendre la grâce qui en émane.

Les enceintes diffusent parfois le bruit de vagues qui paraissent s’écraser sur un rivage invisible (l’esprit, lui, imagine forcément la houle de l’Océan Atlantique Nord contre la terre d’Islande). Les basses émettent des pulsations ralenties et tout de même lourdes, et enveloppent le folk sirénique dans un écrin de velours. « We celebrate winter and cold », annoncent-elles. On l’aurait deviné. Elles parleront aussi de ces chansons qu’elles façonnent en songeant à la Lune, des rêveries véhiculées par l’underground et par l’organique, par l’aérien (les voix siréniques) et par le terrien (le synthétisme parfois presque transcendé), par une sérénité superbe.

Ces sirènes-là envoûteront les pauvres marins que nous sommes. Car nos bonnets et nos marinières n’indiquent pas que nous savons nager pour autant. La somptueuse odyssée s’achèvera alors sous un orage d’applaudissements. Et Pénélope pourra encore une fois, si ça lui chante, défaire la toile qu’elle vient juste de tisser : car ce concert-là, et ce n’est pas si fréquent, on le referait bien encore une seconde fois.

Le reste de la programmation du Winter Camp Festival est à retrouver sur le site officiel du festival.

Visuels : (c) Robert Gil

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Bastien Stisi
Journaliste musique. Contact : [email protected] / www.twitter.com/BastienStisi

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