Pop / Rock
[Live report] Cristal Automatique #1 de Babx au 104

[Live report] Cristal Automatique #1 de Babx au 104

24 October 2015 | PAR Elie Petit

C’est le 22 octobre 2015 dans la salle 400 du 104 qu’un peu plus de 300 privilégiés s’enivrent du concert du poète et musicien Babx, autour de son nouvel album Cristal Automatique #1. Assez des nombres, c’est d’ombres, de mots et de notes dont il s’agit. De Rimbaud à Baudelaire, de Kerouac à Waits, des esprits qui, ce soir, tour à tour invités, étaient loin d’être assagis. Et pour lesquels il a embrasé les vers et embrassé les rimes.

La salle, irrégulière, forme un faux amphithéâtre de chaises, tantôt au sol, tantôt sur un podium surélevées. Un quart de l’auditoire est assis par terre, sur des coussins dépareillés. On en apporte en supplément. Les placeurs du 104 chassent les sièges restants. Par des claquements de mains d’un côté et de l’autre de la pièce, ils se signifient que l’on est au complet. Tout peut commencer.

La lumière s’évanouit et change de camp. Babx salue l’assemblée de la main, s’assied au piano, tandis que Julien Lefèvre empoigne son violoncelle et Frédéric Jean s’installe à la batterie. Ils sont désormais prêts, sur la basse scène, prêts à rabattre à nouveau la lumière sur ces « mecs » et leurs « textes qui nous tiennent à cœur ».

Le piano ouvre la soirée par une note grave, calme et répétée, puis s’invite une petite mélodie sur laquelle se superposent des vocalises, entre berceuse et douce ballade. Vocalises simultanées qui accompagnent la pièce d’introduction de l’album : Conversation. Et c’est la voix de Leo Ferré, maître de la poésie mise en musique s’il en est, qui surgit, affirmant d’un ton certain : « Moi, la poésie je ne sais pas ce que c’est ». Il le répète à maintes reprises, entrecoupé par les exclamations « Magie Noire ! », d’Artaud, que l’on retrouvera plus tard. Techniquement, c’est un sample. Mais on ne se situe pas dans la citation. Pas encore non plus dans la réflexion. Plutôt dans une question inaugurale : Comment aujourd’hui, mettre de la poésie en musique ? Question forcément délicate que viennent affiner les aiguës du violoncelle, rappelant le cristal qui vibre lorsque le doigt mouillé fait le tour des verres fragiles.

Les voix samplées se brouillent, la batterie va et vient battant, sature, couvre tout et sonne la fin de cette conversation qui a posé les bases du voyage pour lequel on s’apprête à embarquer, avec ce trio brillant et les vers qui flottent déjà.

« Arthur Rimbaud ! » annonce Babx. A nouveau la note répétée. Le début. Une marche. Ni sombre ni lumineuse. On avance à vue. Une histoire de manchots aimables, de paladins, de squelettes de Saladin, d’enragés, de pantins et de Belzebuth. C’est la « Ballade des Pendus ». Babx en vient à hurler, dégage cette énergie noire et forte contenue dans le texte du Rimbaud alors collégien, qui trouve ici son interprète. Un interprète dans tous les sens du terme : Babx dit, fait vivre, traduit, incarne les mots du poète.

Plus loin, autre part, Julien Lefèvre échange son violoncelle pour une guitare électrique, Babx joue du piano comme d’une harpe. Pour Charles Baudelaire, c’est la « Mort des Amants », pièce majeur des Fleurs du Mal qui est choisie. Ni hommage, ni résurrection. Ces textes, il les dénude, les découvre, les habille et les révèle au public. Et parfois, la musique reprend le dessus, pour illustrer, le décor du Paris d’alors, la vie et l’humeur du pianiste et celle du poète. Parfois un refrain. Existait-il dans la poésie originale ? Ou est-il la marque de l’adaptation musicale ? Ou alors l’idée musicale que se faisait l’auteur de son poème, ses indications. L’intensité rattrape l’interrogation, le piano se multiplie, les arpèges sont de retour comme ceux d’une harpe, le riff sombre. Puis la disparition, doucement, de tout.

C’est au tour de Jean Genet de s’exprimer. Pour son « Condamné à Mort », écrit en prison. Un long poème sur la fin, et l’amour aussi. Sûrement un des plus beaux textes. Babx ne fait pas parler les morts mais fait revivre leurs mots. Et c’est ce bout de phrase répété de ce qui symbolise le mieux ce qu’il se trame entre le trio et le public : « Au secours, nous bougeons! Emportez-nous ensemble, / Dans votre chambre au Ciel… ». Cette chambre commune, c’est le récit transmis que l’on suit, qui nous emmène, que jamais on ne peut précéder, tant il va vite. Un poème aussi connu pour avoir été interprété par Daho.

Retour chez Rimbaud dont Babx, dans un faux teaser annonce que ce qui suivra serait une « mièvrerie » qui aurait nourri Barbelivien. Ca claque léger, tape de partout. Le piano donne du cluster et est désordonné tandis que s’installent doucement et alternativement dans les mots, la haine et le repos, la vengeance rageuse contre l’engeance des femmes à qui Rimbaud en veut. Le désordre et les clusters reviennent. Babx les achève. Avant de passer quelques minutes magnifiques dans la « rue sexuelle » d’Antonin Artaud dans laquelle le trio jouera des enregistreurs de leurs smartphones, pour créer un canon, fait d’échos anarchiques. Du désordre à nouveau.

Place à Kerouac, en anglais. Peu importe l’accent tant que la rime y est et que ça swingue. Après les rues de Paris, les boulevards américains, classy et surprenants, les passants qui passent et les voitures qui roulent. L’atmosphère d’un bar, d’un comptoir, d’un bon alcool, fort. La soirée continue. Solo de batterie, ça repart. La voix de Babx a des accents rock dans sa plainte. C’est la vie des amours vaincus, d’un piano bar dans lequel on se serait battu.

Puis Tom Waits et sa voix si particulière. Babx ne se perd pas dans dans l’imitation mais s’inscrit dans l’esprit de ses murmures éraillés. Des mots susurrés comme ceux d’un étranger qui regarderait l’intérieur d’une maison qui n’est pas la sienne et la conterait.

Pour Gaston Miron, c’est une marche à l’amour. Et toujours la note répétée, qui installe le texte, cette itération qui marque la forme de la poésie, ces ostinati qui nous conduisent au fil des strophes. Les accords vont et viennent, par couples. Babx, pour la première fois récite presque, déclare, pour déclamer enfin. On est presque dans un film, une scène de lecture de lettre désespérée.

Mais quelles sont ces feuilles sur le piano ? La musique ou les mots ? Les deux ? Est-donc finalement un concert, un concert littéraire, une lecture musicale, ou autre chose encore ? Les musiciens, concentrés lorsqu’ils ne jouent pas, écoutent aussi les mots. Les mots de la poésie en musique.

Retour au début, avec l’éclat de Ferré. La question est toujours là, la « Magie noire » aussi. Les voix s’emballent, l’accompagnement revient et clos la représentation. Les applaudissements sont massifs, la salle se lève des chaises et des coussins confortables devenus cotons. Le trio sort de scène, revient, rend à Césaire ce qui lui revient. L’inspiration du nom de l’album mais surtout la définition immaculée de la liberté, de son Cristal automatique, un anti-alinéa, dont la ponctuation n’est que le refrain « allo allo », revenant régulièrement. Un poème déjà musical, chanté quasi a capella sur un son d’orgue continu et des tapotements sur les épaules du violoncelle.

Acclamations nourries, à nouveau. Une chanson inédite d’un album à venir. Mais qui applaudit-on ? Tous, sans aucun doute. Le trio, Babx et ces poètes auxquels on a eu la chance et le plaisir de goûter ou de redécouvrir les œuvres pour une heure exceptionnelle.
La poésie n’est pas morte. Pas ce soir.

visuels : photos officielles

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Elie Petit
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