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Le Parrain IV au festival DIRE : pulvériser le silence autour des violences sexuelles et sexistes

Le Parrain IV au festival DIRE : pulvériser le silence autour des violences sexuelles et sexistes

15 January 2022 | PAR Orane Auriau

Le Parrain IV – Opér’Art Brut, est la dernière mise en scène du trio punk féministe les Vaginites, composé de Corinne Masiero, Audrey Chamot, Stéphanie Chamot, et joint par Dominique Manet à la maison Folie Wazemmes de Lille. Une performance percutante et magistrale au festival DIRE -organisé par la Rose des vents -, traitant de violences sexistes, sexuelles et d’inceste. 

Poser des mots sur les maux : “délivrez-nous des mâles”

Le nom du groupe est explicite : Les Vaginites. Leur mission : poser des mots, même brutaux, sur la réalité du patriarcat, ses multiples visages, pour le tourner en dérision. Ce spectacle impressionnant dont nous ne sortons pas indemnes, mélange les genres : lecture, musique, mise en scène théâtrale. 

Le ton est donné dès le début : l’humour grinçant et noir, tourne à l’ironie ce qui est de l’ordre de l’abominable. La première “chanson” ouvre le rideau sur une scène de violence conjugale aboutissant à un féminicide. Les mots utilisés sont ceux des luttes féministes, tout en faisant la mise en abyme de la parole dépréciée de l’agresseur (“Que je t’aime“), qui prend le contrôle du corps de sa victime. Les Vaginites jouent sur les mots, créent une prose dans un punk énergique sur lequel elles se déhanchent dans des tenues qui sont au début outrancièrement glamours et féminines : avec des perruques colorées, elles réfutent la notion de “crime passionnel” : “On ne tue jamais par amour“. Au fur-et-à-mesure du spectacle, elles se déshabillent pour finir en sous-vêtements, comme pour abandonner les faux-semblants, celui des femmes masquant leurs peines au quotidien et s’adaptant au male gaze

“Elle le quitte, il la tue

A coups de hache, de couteau, de marteau”

“Rage against the machism”

La parole sur l’inceste

L’inceste. C’est le sujet très sensible que la création est parvenue à mettre en scène et à exprimer avec la lecture de Dominique Manet qui nous livre sa propre expérience 45 ans plus tard – ce qui est d’autant plus poignant. Elle raconte avec ses mots d’enfant, mais aussi d’adulte marquée par les crimes de ce parrain. Ses lignes sont adaptées à la musique et sont ponctuées par les interventions de Corinne Masiero et les soeurs Chamot, qui se chargent d’exprimer la colère et le dégoût. Le récit n’épargne aucune scène. C’est cru, ce qui est d’autant plus tragique avec l’écran projetant des illustrations semblables à des dessins d’enfants, destinées à nous plonger dans le présent des faits. Ensemble, Les Vaginites assènent un coup de pied aux criminels, aux préjugés (“Pourquoi n’a-t-elle pas parlé plus tôt”?), au victim blaming, à la honte, au silence, à la banalisation de ces faits, à la société, complice lorsqu’elle garde son silence. Un spectacle d’autant plus réussi qu’il parvient à traiter un sujet aussi insoutenable, surtout lorsque la parolière ne joue aucun autre personnage qu’elle-même. Exprimant son désespoir, elle laisse la parole à la petite fille qu’elle était alors, présente sur scène.  

“C’est vous, sur ma vulve explosée? 

Sur ma teuch défoncée, c’est vous? 

Oh, vous faites les gentils maintenant..

Mais allez-y, servez-vous,

C’est open bar, alleeeeez !” Corinne Masiero

Lier l’intime au politique

Le spectacle s’achève ainsi avec un appel à la sororité, à briser le silence. Faisant également comprendre au public à quel point la parole est puissante, libère de ce qui nous tourmente. Dominique Manet nous dit que oui, nous pouvons être heureux après un traumatisme. Le Parrain IV nous prouve que oui, les mots sont un outil d’empowerment pour les femmes, les victimes de violences. Le spectacle nous montre les ordures et la puanteur que la société tente d’éclipser, mais il ne s’agit pas d’en rester là.

Les membres du groupe énumèrent elles-mêmes leurs propres expériences, rendant compte qu’il ne faut pas parler de cas isolés, mais de faits de société. Ce qui semble relever simplement de l’intime, dépasse ainsi l’histoire individuelle : il s’agit bien de politique. Nous sommes appelées à reprendre le contrôle de nos existences par ce moyen :  un temps fort du spectacle avec l’hymne final reprenant les notes de l’hymne des partisans de la résistance française, cette fois pour célébrer la sororité. Sur une diapositive défilent les images d’anonymes titrant leurs expériences traumatiques. L’une d’entre elles, Fanny, se lève alors et prend la parole, se joignant ensuite à l’hymne chanté. Le public n’est plus tellement spectateur mais se joint à la scène, comme lors d’une prise de parole (il nous était même demandé de lever la main si nous avions expérimenté des violences ou connu quelqu’un dans ce cas de figure au cours de notre vie). Une représentation dont nous sortons émotionnellement secoués, mais unanimes. Les filles nous ont transmis leur force, l’énergie nécessaire pour prendre la parole -quand nous le souhaitons-, donnant aussi le noms d’associations vers lesquels il est possible de se tourner. 

Un spectacle à voir, oui. Nécessaire, oui. Mais vous êtes prévenus : le sujet est extrêmement sensible et se destine à un public averti. 

Si jamais vous êtes concerné.e.s par une situation de violence et que vous avez besoin d’une écoute, vous pouvez contacter les associations En parler, Nous Toutes, ainsi que des numéros de téléphone tels que 39 19 (Fédération Nationale Solidarité Femmes, le numéro national de référence en la matière). 

 

visuel (c) Le Parrain IV – Opér’Art brut. Courtesy Nikokamera

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