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La Femme : surf-pop et théorisation du genre ?

La Femme : surf-pop et théorisation du genre ?

07 March 2014 | PAR Bastien Stisi

Indubitablement et depuis ses débuts musicaux en 2010, La Femme « donne du plaisir », comme les membres du groupe ont l’habitude de le clamer dans le fracas rétro de leurs très remuants concerts. Mais au milieu de l’hédonisme surf-pop et cold-wave véhiculé par leur orgasmique premier album Psycho Tropical Berlin, et en faisant du travestissement scénique une marque de fabrique, les révélations de l’année selon les Victoires de la Musique en profitent-ils pour interroger la problématique de la théorie du genre ? Analyse de texte et d’attitude :

La Femme

La Femme, un groupe initialement composé d’hommes

D’abord, la question inévitable de la nomination du groupe. Initialement, il n’y a pas de filles chez La Femme, et cette présence accrue de testostérone dans une formation à consonance féminine offre deux axes de réflexions différents : on aurait affaire à un groupe d’hommes « à femmes » (un groupe de machos queutards assumés, en somme), ou à un groupe qui, justement, aurait tendance à rendre égalitariste sa pop tout autant que son propos. Manichéisme quand tu nous tiens.

Le groupe est à l’origine créé par deux garçons, Marlon et Sascha, rapidement rejoint par Sam, Nunès, puis Noé.  En live, d’autres musiciens (mais pas encore de musiciennes) viennent parfois grossir les rangs d’une formation qui tend à se confondre avec un véritable collectif. Il faudra attendre l’arrivée définitive de Clémence Quélennec (rencontrée et recrutée sur MySpace…) pour offrir enfin un lien entre le nom du groupe et le sexe de ses membres. Si plusieurs chanteuses différentes interviennent sur les compositions de Psycho Tropical Berlin (pas question toutefois de renommer le tout « Les Femmes »…), c’est bien l’allure garçonne et mutine de Clémence qui finira par demeurer de manière plus persistante dans l’esprit du public comme dans la plupart des clips vidéo proposés par le groupe.

Une figure féminine plus spécifiquement mise en avant au fur et à mesure de la popularisation du groupe, donc, mais une multitude de femmes quand même dans les vidéos de La Femme, qui ne sont pas toujours, il faut bien l’avouer, des créatures que l’on rêverait inviter à passer quelques heures allongées et idéalement courbées à nos côtés…Dans le clip du très remuant et synthétique « Si un jour », les garçons se travestissent en effet de manière intégrale (et archétypale), et arborent avec une élégance rétro et travelotte perruques, lunettes de soleil, rouges à lèvres, robes écourtées et autres colliers à perles.

« Devenir unisexe »

Bien difficile de distinguer ici les chromosomes XX et XY, au sein d’une vidéo où le glauque se confond avec un esthétisme très new wave (dans le sens musical et cinématographique) et qui illustre avec justesse et démarche guignolesque les paroles d’un morceau qui dénonce les réflexes éducatifs et sociaux idiots véhiculés par les schémas familiaux les plus traditionnels :

« Mon père me dit remets donc ton jupon / Ne touche pas à ce ballon, ça c’est pour les garçons / Cesse de gémir tu as des occupations / Des files et des aiguilles, des perles et des boutons / Mais moi j’aimerais vraiment pouvoir abandonner mon Moulinex / Devenir unisexe / Pour savoir cracher / Fumer toute la journée / Marcher tout en sifflant / Porter des pantalons »…

Proche d’une théorisation queer et malgré un discours officiel qui ne tient pas à intellectualiser outre mesure le propos (le dilettantisme factice paraît être pour le groupe un leitmotiv), La Femme semble bel et bien refuser ici la posture déterministe de ceux qui associent de manière mécanique le sexe et le genre. De manière consciente ou automatique, d’autres morceaux de Psycho Tropical Berlin peuvent encore permettre à l’idée de faire son chemin, et de considérer le groupe comme un porte-étendard d’un égalitarisme (on ne parlera pas ici de féminisme) très contemporain.

Il n’y aura ainsi pas de manichéisme primitif et d’opposition des genres à rechercher dans les parages : chez La Femme, les garçons sont aussi infidèles et pervers que les filles (« Nous étions deux »), et enfilent avec la même peine la panoplie de la dépression, du désespoir et de la verve suicidaire (c’est une femme qui morfle dans « Le Blues de Françoise », et un homme dans « Saisis la corde »). Cicatrisation et Lexomil pour tout le monde.

Travestissement et théâtralisation scénique

Mais c’est encore sur scène que le travestissement et le mélange des sexes atteignent leur paroxysme le plus probant : ostentatoirement sexués et hédonistes, les garçons vêtissent bien souvent (mais pas toujours) les habits de leurs équivalents féminins, tandis que Clémence Quélennec adopte une attitude de garçonne féminine (beauté des oxymores) particulièrement séductrice. La foire au théâtral, et au renversement du pauvrement normal.

Dans le public, toujours nombreux et nostalgique de sonorités seulement connues par le biais du grand frère YouTube (la new wave, le yéyé, la surf pop), les tenues de la génération « All American Apparel » (comme le formulent les méchantes vibrations synthétiques du dernier Danton Eeprom) se confondent dans une cacophonie transgenre et dynamitent les frontières anciennes qui dissociaient l’apparence des garçons et des filles. Dans le public comme sur scène, loin des manifestations moyenâgeuses qui portent l’homophobie et le sectarisme crétin à des hauteurs insupportables, les garçons sont des femmes comme les autres. Et il y a là quelque chose de parfaitement essentiel.

Visuel : © pochette de Pycho Tropical Berlin de La Femme

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Bastien Stisi
Journaliste musique. Contact : [email protected] / www.twitter.com/BastienStisi

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