Pop / Rock
[Interview] Nina Hagen : “Je chine des pépites dans ma boîte à trésors.”

[Interview] Nina Hagen : “Je chine des pépites dans ma boîte à trésors.”

05 December 2022 | PAR Hannah Starman

Nous avons échangé avec la légende du punk rock Nina Hagen par téléphone de Berlin, à l’occasion de la sortie de son album Unity le 9 décembre chez Grönland Records. Les propos ont été recueillis et traduits de l’allemand par Hannah Starman.

Le 9 décembre, vous sortez votre premier album depuis onze ans. Cela faisait longtemps !

Oui et suis très heureuse que l’on y arrive finalement. La préparation de cet album a duré plusieurs années et j’ai fini par me sentir comme un vieux cheval de cirque, brossé et coiffé, qui attend, trépidant et impatient, son dernier numéro. Sauf qu’à chaque fois qu’il s’y voit déjà, on lui apprend que ce n’est pas encore son tour ou que le spectacle est reporté. Certains enregistrements étaient perdus. Pour d’autres, il fallait obtenir les droits et ce n’était pas toujours simple. Le single “United Women of the World” que nous avons enregistré avec Lene Lovich et Liz Mitchell, par exemple, était enterré chez un producteur depuis des décennies et il fallait quémander pour le récupérer. Ensuite, on était frappé par le Covid et le vieux cheval, privé de son public, devait attendre encore un an avant de passer au manège…

Le titre, le son et le graphisme de votre album Unity respirent un groove solaire, jubilatoire et pétillant. On dirait que vous vous êtes fait plaisir ?

En ce qui me concerne, c’est mon dernier album pop. Toutes les chansons qui y figurent viennent du cœur et j’espère qu’elles inspireront les gens à plus de bienveillance et de générosité. Mais je ne veux pas non plus surintérpreter ce que je fais, je m’éclate simplement devant le micro. Avec Warner [Poland], mon producteur et guitariste, on s’amuse à remixer des morceaux et à y introduire des pépites, comme par exemple dans  “Open My Heart (Dinner Time)” où on entend mon fils Otis, quand il était encore petit garçon, dire “Dinner time, every day is dinner time. Come over, don’t be shy, I’m waiting.” J’ai toujours trouvé mignon qu’il invitait tous ses copains à la maison en leur disant: “Maman a fait à manger, il y en a assez pour tout le monde.” Pour moi, cette chanson est aussi une prière que je formule pour un monde où plus aucun enfant ne se couche le ventre vide tous les soirs. 

Votre voix a beaucoup changé depuis vos premiers succès dans les années 1970 où vous avez impressionné avec votre tessiture de cinq octaves. Avez-vous enregistré tous les titres récemment ?

Non, il y a des enregistrements anciens aussi, qui s’étendent sur plusieurs décennies. Cet album réunit des morceaux chinés dans ma boîte à trésors. Nous les avons remixés en intégrant des samples, par exemple, un extrait de l’hymne “America! God shed His grace on thee” que j’ai chanté avec Denis Kucinich, le coup de fil de George Clinton ou encore un message sur mon répondeur automatique qui dit: “Ceci est un appel d’un centre pénitencier. Si vous acceptez l’appel, appuyer sur 1, etc.” Dans “Venusfliegenfalle,” je lis des articles de presse autour des craintes exprimés par les ingénieurs de la NASA au sujet de la colonisation de l’espace, mais j’y intègre aussi les mots de George Orwell dans 1984 et d’Aldous Huxley dans Le meilleur des mondes. Je peins avec des collages sonores et des citations. Ca m’amuse. D’ailleurs, je l’ai déjà fait dans mon premier album en anglais, Nunsexmonkrock. En revanche, “Redemption Day” et “16 tons” ont été nouvellement enregistrés pour cet album. Tout est bien bariolé et bien ficelé.

Envisagez-vous de partir en tournée ?

Oui, mais pas pour promouvoir cet album, mais plutôt pour montrer le film documentaire sur lequel nous travaillons également. Entre 1977, l’année de mon arrivée à Londres et 1987, l’année de ma tournée au Brésil, aux États-Unis et en Grèce, Juliana Grigorova m’a filmée partout : sur scène, backstage et en privé. A l’époque, on a filmé et monté des vidéos de musique inédits que personne n’a jamais vues. Bien sûr, on y trouve beaucoup de musique, mais aussi plusieurs séquences où l’on voit ma très chère amie Ariane [Ari-Up] qui est décédée si jeune. Ce fera un documentaire exceptionnel et j’aimerais le présenter dans les salles de cinéma où j’aurais la possibilité d’échanger avec le public après la projection. C’est mon souhait le plus cher.

Ces dernières années, vous avez interprété le blues, le gospel, mais aussi beaucoup de Bertold Brecht. Avez-vous prévu de faire un album avec les poèmes de Brecht mis en musique par vos soins ?

C’est mon prochain projet et j’y travaille déjà en parallèle. Nous en avons déjà fait quelques excellents enregistrements live pendant mes Soirées Brecht à Berliner Ensemble. J’ai exhumé et mis en musique beaucoup de ses poèmes, par exemple, “Die Legende der Dirne Evelyn Roe” [La légende de la prostituée Evelyn Roe], un texte magnifique et fin, mais aussi Hosianna Rockefeller du cycle De la séduction des anges ou encore des textes de Brecht que je ne connaissais pas. Je vais inclure ces découvertes, mais aussi des tubes comme “Kanonensong” et “Die Moritat von Mackie Messer” [La complainte de Mackie Mackie-le-Surineur] de L’Opéra de Quat’sou. J’ai même chanté quelques strophes de ce morceau en français, à l’Opéra de Lyon.

Vous avez un lien familial avec la France. Votre fils y est né, n’est pas ?

Tout à fait. J’ai pour ainsi dire donné un fils à la France. Otis est né à Villeneuve la Garenne, dans la banlieue parisienne.

Comment vous avez été accueillie en France en tant qu’artiste ?

Par rapport à l’Allemagne, c’est le jour et la nuit. En France on me traite comme un être humain et on me respecte en tant qu’artiste, alors qu’ici, on me fait souvent passer pour un monstre ou une mégère, alors que je suis aimable et drôle. Ils ont fait la même chose à Romi Schneider, ils l’ont toujours insultée aussi. Je ne comprends pas. Les Allemands sont coincés, ils manquent d’éducation et n’apprécient pas mon humour. Les journalistes me demandent comment les gens réagissent quand je sors dans la rue. Je ne suis pas Elephant Man tout de même ! Évidemment, si je m’arrête à une station d’essence pour prendre mon chocolat chaud juste avant un concert, alors que je suis habillée et maquillée pour la scène et que j’ai le trac, les gens me reconnaissent et me demandent un autographe, mais sinon, je suis une personne tout à fait normale.

Visuel : ©GABO

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Hannah Starman

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