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[Chronique] « Horizons » de Détroit : Cantat entre grandeurs et indécences

[Chronique] « Horizons » de Détroit : Cantat entre grandeurs et indécences

20 November 2013 | PAR Bastien Stisi

Detroit Horizon[rating=2]

Dix ans après Vilnius et ses éclaboussures médiatiques titanesques, Bertrand Cantat remet définitivement la musique au centre de ses préoccupations et livre avec l’aide de Pascal Humbert et de son nouveau projet Détroit de nouveaux Horizons aux coloris noircis et au lyrisme résolument intimiste. Au milieu d’une poésie bouleversante et assurée, un passé licencieux trop distinctement évoqué vient toutefois ternir l’objet d’une tâche d’ombre embarrassante…

Cantat sans les guitares de Noir Désir, mais avec la basse de Pascal Humbert

Pour la première fois en plus de dix ans et après de multiples collaborations plus ou moins heureuses (Shaka Ponk, Brigitte Fontaine, Eiffel, Souleymane Diamanka, Amadou & Mariam…) voilà enfin Bertrand Cantat à la tête d’un projet organisé autour de sa propre personne, et plus exposé encore que d’accoutumée aux flashs orduriers de ses observateurs rancuniers. Voilà aussi pour la première fois Cantat définitivement éloigné de ses compères de Noir Désir, avec qui il élabora les contours de l’appellation « rock français » durant une quinzaine d’années (1987-2001) et six glorieux albums studio.

Jim Morrison sans le clavier avant-gardiste de Ray Manzarek n’aurait sans doute été qu’un beatnik camé sans cohérence artistique. Sans la guitare incandescente de Serge Teyssot-Gay, Cantat, lui, perd en expertise rock ce qu’il gagne en emphase blues, et renforce logiquement l’importance des mots en s’appuyant sur la basse rassurante et mélodique de Pascal Humbert, ancien compagnon de route et autrefois composante des groupes Passion Fodder, 16 Horsepower et Wovenhand.

Si le début de l’album est marqué par une pauvreté de rimes étonnante et par une accumulation d’allitérations jouvencelles (« Ça m’amuse que tu sois ma muse, dis-moi si ça t’amuse… »), quelques joyaux effilochés et meurtris (« Terre Brûlante », « Ange de Désolation ») viennent conforter la superbe poétique d’un Cantat mélancolique et bouleversant, et atteignent parfois des hauteurs zénithales qui les rapprochent des plus fameuses phases de 666.667 Club ou de Des Visages des Figures.

Poésie intimiste… et indécente ?

Excepté le vénéneux et tranchant « Sa Majesté » (qui rappellera aux oreilles les plus attentives la reprise du « Roi » de Brassens par Noir Désir), le chanteur et parolier bordelais abandonne ici les oraisons pamphlétaires qui avaient jadis construit sa renommée, afin de se consacrer plutôt à l’exploration thérapeutique d’une intimité saccagée que d’aucuns ne tarderont sans doute pas à lui reprocher.

Le premier extrait de l’album (le très sobre « Droit dans le Soleil »), pourtant, avait laissé présager une retenue lyrique sur les événements de Vilnius et sur leurs conséquences carcérales. Les Horizons de Cantat tendent en réalité toujours à se projeter vers l’hier, et alternent les règlements de comptes acides avec les médias (« Ange de Désolation »), l’expérience douloureuse des nuits pénitentiaires (« Horizon »), et les sollicitations spectrales et désespérées de sa muse défunte. Il s’avère alors difficile de considérer le travail de l’artiste sans le tumultueux passif de l’homme, surtout lorsque celui-ci se perd dans des lyrics maladroits et/ou tendancieux, à l’image du très dérangeant (et très mauvais) « Le Creux de ta Main » (« Je peux gravir pour toi les sommets de l’ivresse » / « Je t’aime mais ne te tiens pas dans le creux de ma main »). Quiconque se rappellera les circonstances du décès de Marie Trintignant aura du mal à terminer le morceau. Et froncera les sourcils.

Par manque de pudeur, par pure provocation, ou par une envie urgente de chasser d’incommodants démons, Cantat ternit un album ponctué par une reprise tout aussi malheureuse du « Avec le Temps » de Léo Ferré (que Noir Désir avait déjà repris sur son dernier album avec « Les Armes »), dont les quelques pointes d’électro souffreteuses ne parviendront pas à nuancer les paroles forcément évocatrices du chef-d’œuvre universel (« Le cœur quand ça bat plus, c’est plus la peine d’aller chercher plus loin… ») Malaise.

Quarante-cinq minutes aux aspirations discordantes, et une bien triste constatation : Bertrand Cantat est semblable à ces vieux amours auxquels on s’accroche sans parvenir à se défaire, jusqu’au jour où l’on se rend compte que chaque parole est prétexte à la remise en avant d’une blessure trop profondément enfouie pour être totalement recousue. Les amours qui se basent sur le passé, définitivement, ne semblent être les bons.

Détroit, Horizons, 2013, Universal Music / Barclay, 45 min.

Visuel : © pochette de Horizons de Détroit

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Bastien Stisi
Journaliste musique. Contact : [email protected] / www.twitter.com/BastienStisi

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