Métal
French Metal Studied : Mémoires de chercheurs de métal

French Metal Studied : Mémoires de chercheurs de métal

09 December 2020 | PAR Simon Théodore

Codirigé par Corentin Charbonnier, Julien Goebel et Émilie Salvat, French Metal Studied compile des mémoires d’anciens étudiants de master consacrés à la musique métal, ses acteurs et ses publics. Toute La Culture a profité de cette lecture confinée pour s’entretenir avec l’un de ces « chercheurs de métal » et évoquer l’ouvrage, cette culture musicale et son avenir en temps de Covid.

Apparue à la fin des années 1960 en Angleterre et aux États-Unis, la musique métal est devenue, en un demi-siècle, bien plus qu’une forme dérivée du rock. Black Sabbath, Deep Purple et Motörhead ont fait des enfants qui, à leur tour, ont inspiré des générations de musiciens à travers le monde. Il n’y a qu’à voir l’affiche du Hellfest pour comprendre la richesse de cette musique électrique. Aujourd’hui, le métal se compose de nombreuses chapelles. Le heavy metal, le death metal, le black metal, le stoner ou encore le métal symphonique et le pagan metal…. Il en existe des dizaines et des dizaines, aux quatre coins de la planète, des Amériques à l’Asie en passant par l’Europe et l’Afrique.

« Les recherches sur le rock sont faites par les rockers »

Musique universelle, elle est aussi un phénomène culturel important du XXème siècle. Les artistes trouvent leur inspiration dans la littérature, le cinéma, l’histoire, la religion ou la politique. Sur fond de mélodies saturées, ils produisent un regard critique sur le monde qui les entoure. Parfois sujets de clichés, les adeptes de cette musique, appelés « métalleux » ou « metalheads », se reconnaissent à travers des valeurs communes, des codes esthétiques, des pratiques et des lieux de sociabilité. Plus qu’une forme musicale, il s’agit d’une véritable culture. « Pour moi, la musique métal est d’une infinie richesse, tant en matière musicale qu’en matière de littérature et de sources d’inspiration. Le métal reste pour ma part une culture à part entière dans laquelle j’évolue et avec laquelle je vis intrinsèquement » explique Corentin Charbonnier, à l’origine du récent livre French Metal Studied.

Au début des années 1990, aux États-Unis, les premières recherches académiques furent publiées. En trois décennies, le champ des études métal, les “metal studies”, s’est fortement développé, avec des chercheurs issus de différentes disciplines. Cette dynamique a abouti à la création de l’International Society for Metal Music Studies (ISMMS) en 2013. Même à l’université, la passion semble guider les recherches. « Les recherches sur le rock sont faites par les rockers…pour les recherches sur le métal…c’est d’autant plus vrai. Généralement, on ne se fait pas une année ou deux de recherche sans y mettre un peu de soi. Il faut voir les looks que l’on a et la musique qu’on écoute…on est tous metalheads avant tout » précise l’universitaire lorsqu’il évoque le profil de ses collègues.

La France n’est pas étrangère à cet élan intellectuel et a accueilli l’année dernière, à Nantes, la quatrième biennale de cette association et l’anthropologue faisait partie du comité d’organisation. Après avoir acheté par hasard l’album Ride The Lightning de Metallica au début de l’adolescence, il s’est découvert une passion pour cette musique qui l’a amené, par la suite, à monter une émission de radio et à devenir photographe de concert. Participant à la recherche francophone, il a soutenu un doctorat en anthropologie à Tours en 2015 avec une thèse consacrée à la “fête de l’Enfer”, intitulée Hellfest : un pèlerinage pour metalheads et aujourd’hui publiée.

Comprendre la scène pour penser son évolution

Dans le monde académique, les publications semblent réservées aux universitaires confirmés. Néanmoins, de plus jeunes chercheurs proposent également des réflexions intéressantes, souvent peu (re)connues. « Mes collègues universitaires publient d’excellents articles sur le sujet, mais certains étudiants en master montrent déjà d’excellentes qualités et les sujets traités étaient fort pertinents ! Je ne voulais pas que leurs travaux restent dans un carton sans être rendu accessible au public » constate-t-il en évoquant la naissance du projet. Ainsi, est donc née l’initiative de proposer un ouvrage collectif compilant des résumés de mémoires de master.

Sans être uniquement destiné à un public scientifique, mais tout en gardant des points de repères méthodologiques et des notes de bas de page, French Metal Studied propose une réflexion plus large sur le monde des musiques actuelles en France, ses acteurs (organisateurs de concerts, publics), ses institutions (SMAC, festivals) à travers le prisme de la musique métal. Pandora Charansol montre par exemple comment, lorsqu’il s’agit d’organiser des concerts, un écart se creuse entre les petites associations et les grosses structures événementielles. Quant à Sam Murée, elle souligne que, malgré quelques initiatives, la musique métal tient une faible place dans la programmation des SMAC. À travers un angle marketing, Aladin Chambal revient sur l’importance de l’acquisition de l’objet dans la construction identitaire du métalleux et que ce projet s’élabore autour d’une quête d’authenticité et d’un besoin matérialiste. Alors qu’en cette période difficile, nous avons presque oublié ce qu’était un festival, Olive Zombo présente quelques caractéristiques de cet événement si particulier, permettant la rupture avec le quotidien. Enfin, à partir d’une étude marketing menée sur le festival Motocultor, Caroline Mounier et Pierre Agapit s’intéressent à la manière dont un festival doit s’adapter à une forte concurrence tout en prêtant une attention particulière à son public et son ressenti lors de l’expérience festivalière.

Depuis de nombreuses années, les manières de consommer de la musique, en live ou non, changent. Ces articles offrent alors des pistes de réflexion pour appréhender ces mutations, qu’elles soient relatives à l’économie, aux pratiques ou aux publics. Corentin Charbonnier clôture d’ailleurs l’ouvrage avec quelques résultats issus d’une enquête effectuée auprès du public du Hellfest. « Il y a deux ans, on a construit un questionnaire pour le Motocultor festival avec Gérôme Guibert et on a échangé…si bien que j’ai relancé l’opération avec le Hellfest en affinant. Dans les premiers résultats, il y a des aspects intéressants liés à l’âge. Le public vieillit, ce qui est questionnant. Je pourrais aussi teaser qu’il y a un lien direct entre certaines catégories socioprofessionnelles et l’écoute de certains styles de métal. Bref, tellement de données… Pour l’instant, je travaille sur une cartographie par régions, puis par départements des metalheads : type d’écoute, type de pratiques, ce qui permettrait entre autres d’adapter l’offre en matière de spectacles à la demande ». D’un côté, ces études métal trouvent donc des applications concrètes et propices pour penser l’évolution de la scène métal en France. D’un autre, de nouvelles questions surgissent et le métal ne semble pas avoir dévoilé tous les mystères qui l’entourent….

Métal : la bête qui refuse de mourir

Depuis près d’un an, les mondes du métal et de la culture sont sévèrement touchés par la pandémie du Covid-19. Même s’il est encore trop tôt pour faire le bilan, « Les conséquences vont être durables, il faudra compter et questionner les associations encore vivantes et qui continueront à faire vivre le paysage métal français et international. Les entreprises de vêtements, de produits dérivés, les labels… bref l’ensemble de l’industrie de la musique et de la culture au sens large a été impacté… Après, je reste confiant pour la culture métal. Cette musique se vit, les metalheads ont cette musique dans la peau. » analyse, non sans espoir, le chercheur français. Proposer des études universitaires au sujet de ce secteur culturel prend alors d’autant plus de sens en cette période de crise et permet de mieux le connaître pour mieux s’adapter. Rythmé par ses nombreuses danses métalliques et ses moments de convivialité, il est encore bien difficile d’imaginer la tenue d’un Hellfest 2021 qui respecterait la distanciation sociale et les gestes barrières… Néanmoins, à l’instar de l’European Metal Alliance Festival, certaines initiatives de concerts en streaming apparaissent tandis que des groupes profitent de ce temps pour créer un art faisant l’écho de cette sombre période. Une chose est sûre, comme le soulignait déjà la sociologue Deena Weinstein dans son étude parue en 1991, « le métal est une bête qui refuse de mourir ».

Visuels : © couverture du livre / Corentin Charbonnier / Jeanne-Hélène Dufraux

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Simon Théodore

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