Musique
[Live report] Unknown Mortal Orchestra, Run The Jewels, Ratatat & Hudson Mohawke au Pitchfork Music Festival

[Live report] Unknown Mortal Orchestra, Run The Jewels, Ratatat & Hudson Mohawke au Pitchfork Music Festival

01 November 2015 | PAR Bastien Stisi

Après une première et une seconde soirée marquées par les lives réussis de Godspeed, Deerhunter et Beach House jeudi, puis de Health, Battles et Thom Yorke vendredi, le Pitchfork Music Festival clôturait hier soir son édition 2015. Et rien ne fut vraiment loupé.

Father John Misty, Unknown Mortel Orchestra : jeux de séduction

Rien, pas même le live du prédicateur-crooner-allumeur Father John Misty, échappé de Fleet Foxes afin de venir dire l’amour via ce folk électrique baroque et romantique, un folkeur au grand cœur et aux (très) grandes manières qui nous avait pourtant tellement agacé lors de son dernier passage français, à l’occasion de la dernière édition de La Route du Rock. Peut-être celui-ci en a-t-il moins fait hier soir, des manières (bien qu’il termine par terre et à genoux sur son grand tube « Chateau Lobby #4 »). Ou alors ses airs de dandy à barbe et à jean serré résonnent mieux avec l’ambiance qui domine dans la Grande Halle qu’avec celle qui domine à Saint-Malo, avec ciré jaunes et bottes pleines de boues…

La grosse claque (inattendue, avouons-le) de cette 3e journée intervient dans la foulée, avec le live d’Unknown Mortal Orchestra et de son leader Ruban Nielson, vecteurs efficaces d’une pop aux accents funk qu’eux-mêmes résument parfaitement dans leur bio Facebook (Psychedelic R&B, Depression Funk, Dadwave) et qui s’avèrent, en live, largement plus rock et électrique qu’en studio. « So Good at Being in Trouble » (c’est probable que Kevin Parker y ait prêté une attention au moment de composer son dernier album…), « Can’t Keep Checking My Phone », le très gros tube « Multi-Love » : les balades plus minimales fonctionnent aussi bien que les morceaux au groove maximal, et accouchent d’une pop tout-sourire qui sortira ces Américains-là, signés chez Jagjaguwar, du faux anonymat dans lesquels les place d’entrée leur drôle de nomination. Inconnu ? Plus maintenant. Mortel ? Complètement !

Run the Jewels, Ratatat : MCs heroes & guitares heroes

Et puis, de l’autre côté de la Grande Halle, se met à résonner, très fort (c’est aussi que tout le monde reprend le refrain) le « We Are the Champions » de Queen. Plutôt qu’un Freddy Mercury revenu des Enfers afin de régler quelques affaires, ce sont Killer Mike et El-P, emmené par un Dj qu’ils ne cesseront de faire acclamer, qui débarquent sur une scène qu’ils occuperont en moins de temps qu’il ne faut à la foule pour scander « RUN THE JEWELS », ce blaze qui a regroupé les deux MCs sur ce projet au nom qui dit bien les ambiances et les ambitions du trio étiré entre New York et Atlanta : ce hip-hop-là se fait à la fois bandit et dandy, dérobeur et bling-bling, performeur et beau parleur. Les prod sont toutes noires et les flows affutés, on insulte les vilains politiciens et les truands en costard, on fait vibrer la foule qui jump et qui bouge les têtes : Run The Jewels, avec deux micros et quelques sampleurs, fait chavirer le Pitchfork comme jamais pendant ces trois jours. Grosse perf, surtout pour un genre qui a tellement de mal à s’imposer dans ce genre de festival.

Derrière, le shoegaze progressif, psychédélique, apaisé et longiligne de Jason Pierce et de Spiritualized, pourtant fidèle en live à ces balades cultes, sensibles, électriques, et merveilleusement composées qu’on a tellement écouté en studio (« Hey Jane », « So Long You Pretty Thing »…), aura un peu plus de mal à prendre le relais. Ou en tout cas, personne ne jumpera dessus, les bras en l’air et les jambes en cavales. Ce qui en soit, n’est pas tellement illogique.

Plus efficace malgré une prestation gangrénée par des problèmes de son nombreux, le live de Ratatat (Mike Stroud et Evan Mast), eux aussi déjà vu cet été à La Route du Rock, fonctionnera aussi bien d’un point de vue visuel (les projections vidéos, classiques, baroques et géométriques, sont superbes) que d’un point de vue sonore. Car Magnifique, le dernier album des New Yorkais qui porte si bien son nom, séduit toujours autant en live grâce à ces morceaux pleins de grâce et de panache, eux qui remettent le concept de guitar-heroes au centre du propos et glorifient l’alliance de la guitare électrique et des musiques électroniques.

Hudson Mohawe : frustrant mais très grand  

Réceptions, très fort et avec les sens en éveil, des morceaux d’aujourd’hui (« Magnifique », « Abrasive », « Cream On Chrome »…), réceptions de ceux d’hier (« Mirando », « Party with Children », « Shempi », « Loud Pipes »), et déplacement à l’arrivée du jour prochain (à minuit donc) de l’autre côté de la Grande Halle, où s’apprête à débuter le live, très attendu, du DJ et producteur Hudson Mohawke, auteur cette année d’un album (Lantern, Warp Records) qui avait confirmé ses facultés de maître bidouilleur d’une trap music pleine de basses, pleine de classe, et de routes pleines de crasses (de la chillwave vocodée à la techno mouillée). Ingéniosité scénique : les machines de l’Écossais et de ses deux acolytes à la batterie et au sampleur autour de lui, sont recouvertes par une couche transparente dont la manière rappelle ces toiles d’araignées visqueuses dans lesquels les moucherons s’égarent et s’enlisent. On croit d’abord, justement, devoir être les moucherons pris dans la toile de l’araignée Mohawke, puisqu’après avoir débuté son live comme il débute son album (par l’enchaînement de « Lantern » et de « Very First Breath »), le producteur enchaîne sur « Goooo », ce morceau égaré des fourneaux de l’Enfers et de ce projet fanatique mené aux côtés de Lunice (le vicelard et brillantissime TNGHT, dont on pleure chaque jour le fait qu’il n’en existe un seul EP), qui entraînera immédiatement la foule dans une frénésie totale.

Et puis, que dalle. Ou plutôt, des montées et des descentes, toutes plus frustrantes les unes que les autres, et une alternance de grosses obscurité et de belles étincelles qui ne parviennent toutefois à s’ajuster et à trouver la lumière adéquate. Très frustrant, jusqu’à ce final grandiose, qui convoque une nouvelle fois TNGHT (« Higher Ground »), puis le tube aboyeur « Chimes », et qui fusionne immédiatement tout ce qu’il est possible de fusionner (les corps, les esprits, les sens, les basses). Un live semblable aux matchs de ces avant-centres brillants qui n’en foutent pas une pendant 90 minute, mais qui, parce qu’ils plantent un doublé dans les arrêts de jeu, se retrouvent avec un 8/10 le lendemain dans L’Équipe…

John Talabot et Roman Flügel, eux, scoreront dès la première minute. Associées pour l’occasion, l’electronica tribale et sophistiquée du Barcelonais (qui ne porte donc pas en live son masque d’aluminium présent sur ses visuels) et la techno frontale de l’Allemand tabassera sévère, et permettra aux plus courageux de tenir jusqu’au live de Laurent Garnier, unique Français du festival et prestigieux live terminal d’une édition, au final, très largement réussie. See you next year, mêmes dates et (sans doute) même lieu.

Visuels : (c) Robert Gil

[Cinemed] Le palmarès riche de la 37e édition, « Montanha » de João Salaviza Antigone d’or
« Parkeromane » : Eric Naulleau décrit le kaléidoscope de son obsession pour Graham Parker
Avatar photo
Bastien Stisi
Journaliste musique. Contact : [email protected] / www.twitter.com/BastienStisi

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration