Musique
[Live report] Portishead, Liars, Metz et Moderat à La Route du Rock

[Live report] Portishead, Liars, Metz et Moderat à La Route du Rock

16 August 2014 | PAR Bastien Stisi

Après une deuxième journée de festival semblable à une averse apocalyptique et continuelle, le Soleil, bonheur simple mais sublime, s’invitait enfin à Saint-Malo et sur La Route du Rock ce vendredi pour cette troisième journée de festival.

Et confirmation immédiate de cette sensible amélioration de la météo, il y a du monde dès 16 heures sur la Plage Bon-Secours à l’intérieur même de Saint-Malo (les deux autres scènes sont accessibles après une demi-heure de navette, à l’extérieur de la ville) pour assister à la performance d’Aquaserge, ovni musical venu de Toulouse afin de libérer le rock, la pop, le jazz, et globalement tout ce qui a vocation à l’être, esprits et chakras inclus. Portés par un surréalisme vianesque et par l’énonciation de (curieuses) paroles en français (les seuls avec Frànçois & The Atlas Mountains à l’avoir osé jusqu’ici lors du festival), Aquaserge bascule dans un espace spatio temporel où les sens se mêlent et se démêlent, voient les goélands leur répondre, et font voyager beaucoup, en très peu de temps.

Certains poursuivront la baignade dans la Manche, et la plupart prendront la direction du cœur central du festival, où les immenses flaques d’eau élaborées la veille par une météo capricieuse ont été recouvertes dans la nuit par du foin, paysage réinventé et étrange qui donne aux environs des relents d’étables pour poneys mal lunés…Bon, ça reste quand même mieux que d’avoir de la flotte jusqu’aux genoux, bien sûr.

À cet instant, tous se souviennent encore des calvaires climatiques de la veille (les chocs émotionnels d’aujourd’hui sont les névroses de demain). Rapport de cause à effet ou pas, ils seront très peu nombreux lors du début des ébats à 18h30 sur la scène des Remparts, à assister au concert de Cheatahs, Britanniques aux vêtements larges et aux quelques tubes efficaces (« The Swan », « Flake », « Fountain Park ») qui installent sur une ambiance néo grunge quelques reflets pop aux mélodies ajustées.

Plus de monde, forcément, dans les alentours de 19h et lors de l’arrivée de la très attendue Anna Calvi sur scène, venue nous rappeler, outre sa formidable capacité à alterner avec la même dextérité murmures susurrés et extases rock, à quel point cette édition 2014 de La Route du Rock fait la part belle aux figures masculines aux dépens des figures féminines (Angel Olsen hier, Anna Calvi aujourd’hui, Perfect Pussy demain, et c’est à peu près tout). On ne hurlera pas tout de suite à l’affreux machisme non-égalitariste, et on observera plutôt les mimiques charmantes et habitées de la captivante Anna, pleine de force et de coffre lors de l’interprétation de ses tubes « Desire », « Suzanne and I » ou « Jezebel » issus de ses deux premiers albums studio (Anna Calvi et One Breath).

Slowdive, Portishead : voluptés et noirceurs 

Le concert des Protomartyr, Américains venus de Détroit  et qui auraient pu faire partie sans problème de la glorieuse écurie mancunienne Factory, marquera pour sa part davantage par la solidité du sol environnant que par la pertinence de sa performance live (« tient, y’a pas de boue ici »). C’est aussi que le souvenir laissé par Slowdive, intervenu juste après sur la grande scène, s’avérera tellement mémorable qu’il ne laissera sur l’instant la place à aucune autre sensation de souvenir, de saison, de logique. Car loin de la grandiloquence qu’aurait pu suggérer l’inscription en immense de leur nom derrière la scène au moment du début du concert, les Britanniques proposent une heure durant un show taillé pour les grands espaces mais sans prétention aucune. Ici, les morceaux paraissent s’étirer à l’infini et dans une verve sigurosienne, le rock rend visite à la stratosphère, et y trouve quelques mélodies pop, lorsqu’elles ne basculent pas dans le post rock aux accents noisy ou progressifs.

Slowdive a pris de l’âge et ses musiciens des rides sur le visage, mais y a gagné une fan base, euphorique à la moindre énonciation des succès qui ont construit la légende du groupe et de leurs trois uniques albums, parus au cœur des années 90 (Just For A Day, Souvlaki, Pygmalion). Le tout est d’une beauté absolument idéale, et témoignera de l’une des toutes meilleures performances live de ce début de festival.

Et puis, le nombre de festivaliers présents sur le complexe de La Route du Rock paraît soudainement se démultiplier, sans doute aussi nombreux à 22h40 aux devants de la Scène du Fort que les groupes de trip hop qui revendiquent aujourd’hui l’influence évidente de Portishead au sein de leur construction sonore.

Figure incontournable de la scène trip hop britannique, dont elle a contribué à façonner les contours et à y donner les lettres de (noire) noblesse, l’iconique formation de Beth Gibbons faisait son grande retour à Saint-Malo, 16 ans après y avoir effectué un premier concert encore omniprésent dans la mémoire des organisateurs. Et le monde s’est pressé pour l’acclamer de nouveau, vigoureux d’applaudissements afin de venir saluer les plus grands hymnes trip hop du groupe, des immenses voluptés de « Glory Box » aux défragmentations de « Numb », du tintamarre synthétique  de « Machine Gun » aux héroïsmes assombris de « All Mine ».

Metz, Liars : désordres en règles

Les jeux de lumière se contentent de suggérer les contours des silhouettes, prostrées dans une gestuelle énigmatique et parfaitement hypnotique. Le show, lui, s’avérera d’une noirceur totale et d’une maîtrise parfaite. Et parce qu’il a imposé dans l’air des nuages synthétiques aux épaisseurs inquiétantes, nul ne s’étonnera qu’éclate, quelques instants plus tard et sur la scène des Remparts, un virulent orage projeté tout droit depuis le Canada. Et c’est le trio Metz qui est en charge de le livrer à la face des humains. Avec l’énergie, la conviction, et la force de persuasion punk qu’on leur connaît, les bruyants garçons de Toronto font défiler les compositions monochromes de leur album éponyme (« Headache », « Wasted », « Get Off », « Rats »), en proposent quelques-unes issues de leur prochain, et assemblent les cinq éléments punks (slams, jets de bières, pogos, chants gueulards et guitares acérées) afin d’imposer le règne de la folie furieusement destructrice. Il y a des sourires et des gens qui se rentrent dedans, ce qui nous permettra de nous rappeler que « Metz » se prononce de la même manière que « mess », qui veut tout simplement dire « désordre » en anglais…

Et puisque le « mess » paraît être le fil conducteur de cette bruyante fin de journée, c’est justement aussi le nom du dernier album des immenses Liars, qui avait confirmé à sa sortie le virage électro entreprit en 2012 sur WIXIW après le passage de la réécriture post-punk (They Threw Us All In A Trench And Stuck A Monument On Top) au rock expérimental et tribal (They Were Wrong, So We Drowned) des premières années. Sur la grande scène, les New Yorkais affublent leur chanteur des mêmes attributs multicolores et masqués qui figurent sur la pochette de l’album, débutent avec l’électro disco musclée de « Pro Anti Anti », et livrent une performance bizarroïde et sans concession aucune. La danse engagée ici est martiale, jouissive et épidermique, basculera dans la partouze électro rock sur « Mess On A Mission », et contrastera grandement avec celle proposée, une heure plus tard et en guise de terminaison, par le super trio berlinois Moderat (la fusion des deux Modeselektor et du génial Sascha Ring / Apparat).

3 heures du matin, 3 silhouettes cachées derrières trois micros, et deux albums à venir défendre pour le parfait combo outre-Rhin, qui introduit avec le formidable et saccadé « A New Error » un show marqué par la classique alliance de la grâce propre aux derniers albums d’Apparat et l’efficacité redoutable de l’univers sonore de Modeselektor. Orgasme tubesque sur « Bad Kingdom », mouvement des jambes sur « Les Grandes Marches », perte de repères sensoriels sur l’interminable « Milk », et bonheur, encore et toujours, à la vue de la programmation d’une dernière journée de festival à retrouver, bien évidemment, sur le site officiel de La Route du Rock.

Visuels : © Robert Gil

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Bastien Stisi
Journaliste musique. Contact : [email protected] / www.twitter.com/BastienStisi
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