[Live report] Aufgang vs Brandt Brauer Frick aux Bouffes du Nord
Afin de clôturer la première édition du très singulier festival Beyond My Piano (qui place au centre des débats le majestueux instrument à cordes frappées), le théâtre des Bouffes du Nord accueillait hier soir et pour la deuxième fois en vingt-quatre heures le Luxembourgeois Francesco Tristano, pépite pionnière du très éclectique label lyonnais InFiné.
Mais contrairement à la veille, c’est accompagné de ses acolytes d’Aufgang (Rami Khalife et Aymeric Westrich) et du trio berlinois Brandt Brauer Frick que le pianiste électro classique se présente sur les planches boisées des Bouffes du Nord. Deux pianos, deux batteries, et des machines faiseuses de miracles numériques viennent compléter un espace sur lequel s’accumulaient la veille quelques silhouettes classiques (Vanessa Wagner), jazzy (Bojan Z) ou même carrément électroniques (Murcof).
Les spectres inspirés de Kraftwerk, de Jeff Mills, de St Germain et de Philip Glass entament alors une conversation cosmopolite et enflammée, et ont visiblement beaucoup de choses à se dire : portés par la puissance des batteries et des pianos doublés, les deux trios regroupés en cercle tout autour de la scène confondent et juxtaposent leurs univers musicaux respectifs dans une frénésie superbe d’accouplement électro, classique et symphonique.
À l’intro cosmique et vaporeuse qui introduit le concert succède une volée de sonorités parfois chevaleresques ou enivrantes, parfois tortueuses ou vénéneuses, parfois disco et luxuriantes, toujours porteuses du paradoxe dommageable qui s’empare alors à cet instant des esprits et des regards. Malgré son intimité attachante et le charme authentique de ses apparats, la disposition même de la salle devient en effet rapidement une contrainte pour un public incapable de se lever pour accompagner la performance des deux groupes assemblés (puis dissociés) sous leurs yeux. Le plaisir est là, mais s’accompagne d’un léger sentiment de frustration physique.
On hésitera un temps à dévisser les sièges solidement incrustés dans le sol des Bouffes du Nord pour offrir devant nous un espace libérateur (le jeu de lumière qui tourbillonne dans les cieux donne des envies de dancefloor), et on regardera plutôt le trio franco-libano-luxembourgeois revisiter les conceptions ancrées de la musique classique tout autant que les compositions de son alter ego berlinois. À leurs tours, et séparés un temps de leurs congénères d’Aufgang, les Brandt Brauer Frick s’évertueront quand à eux à véhiculer une musique industrielle et technoïde par le biais d’instruments essentiellement acoustiques, alternativement proche d’un post-dubstep symphonique et distant, d’une électro synthétique et spatiale, ou d’une techno tourbillonnante et nasillarde (on pensera parfois aux morceaux les plus ravagés du Homework des Daft Punk).
Regroupés une dernière fois pour une performance terminale époustouflante, les six artistes verront leur performance accompagnée enfin par les levées bruyantes d’un public soudainement libéré du poids immense qui semblait peser jusqu’alors sur ses épaules. Les gamines se déhanchent, les gamins hochent furieusement la tête, les plus réceptifs engagent une danse épileptique, les plus vieux approuvent gentiment. Les plus sectaires et les plus grognons, eux, ont quitté la salle depuis bien longtemps, et ne pourront entendre le fracas littéral qui accompagnera les derniers soubresauts sonores des deux trios venus conforter l’idée selon laquelle le piano est l’un des plus efficaces alliés des machineries électro. Gloire au mélange.
Visuel : © affiche du festival