Musique
La nostal’Algérie du Barbès café

La nostal’Algérie du Barbès café

18 March 2013 | PAR Hassina Mechaï

Une petite salle perdue au fond du parc de la Villette, au bord du canal de l’Ourcq. Un peu excentrée dans sa localisation, un peu décalée, décalage original, dans sa programmation….le cabaret sauvage. Dans cette salle à la rotondité capitonnée, construite comme un chapiteau de cirque, se joue en ce moment le Barbès café, spectacle qui mêle chansons, danses, saynètes et projections d’images d’archives grésillantes. Un objet artistique non identifié, tout-en-un et unique en son genre.

Ils était nombreux  à se presser ce soir-là au cabaret Sauvage, mélangés, horizons divers, couples en goguette, familles au complet, Parisiens blasés et amateurs d’exotisme léger. Le projet sur le papier était en effet alléchant. Le Barbès Café nous promettait rien moins que de nous raconter « en chansons l’histoire de l’immigration maghrébine ». Mais au final le spectacle conçu par Meziane Azaïche et mis en scène par Géraldine Bénichou fut plus que cela…

D’abord un dispositif astucieux pour mise en scène. Près des spectateurs, la reconstitution d’un bar des années 50. La gouailleuse Lucette, patronne de Barbès Café, mariée à un Algérien égrène ses souvenirs avec un habitué, également algérien (excellent Salah Gaoua). Et son histoire commence dès les années 30, avec le début de l’immigration nord-africaine. L’exil, le ciel plombé des taudis, l’horizon bouché des chaines d’usines, un Billancourt qui, sans attendre Sartre, aurait déjà été désespéré s’il n’y avait eu la musique. Car ces immigrés, fourmis silencieuses de la France des 30 Glorieuses avaient apporté avec eux tout un univers de chants, toute une culture comme viatique essentielle.

Entre chaque narration de Lucette qui suit son fil historique, des images INA sont diffusées sur deux grands écrans. Images en noir et blanc, sépias, scopitones anachroniques ou comiques, qui marquent une vraie mémoire audiovisuelle de l’immigration. Hommes débarquant la valise à la main, Nanterre et sa lèpre de bidonvilles, manifestations du 17 octobre 1961, la Seine rougie des basses œuvres de Papon, l’Indépendance algérienne arrachée et non pas concédée…Et puis, en point d’exclamation joyeuse, il y a les chansons, celles des algériens, qu’ils soient arabes, berbères ou juifs, Slimane Azem, Dahmane El Harrachi, Lili Bonniche, Salim Hallali, El Anka. Chaâbi, chants kabyles, répertoire arabo-andalou, patrimoine sépharade, et plus tard le Raï…Un formidable orchestre mené par la voix sublime de Samira Brahmia, avec oud, luth, guitare, darboukas, flûte bergère, des chansons joyeuses ou mélancoliques superbement revisitées. Lors de ces interludes, les spectateurs d’abord timidement puis franchement donnent à entendre des you-yous évidemment joyeux, et n’hésitent pas à investir la piste de danse spécialement préparée pour les moins timides.

Le spectacle, au-delà de son aspect festif, offre aussi une réappropriation de la mémoire de l’immigration nord-africaine en France. Cette mémoire humaine, intimement liée aux soubresauts historiques, connait depuis peu un regain d’intérêt dans la littérature ou au travers de documentaires et de travaux universitaires pointus. Au travers de cette mémoire, on découvre que la masse industrieuse apparemment silencieuse et docile de ces travailleurs était de fait structurée de façon solidaire (aides financières de l’entière communauté pour les joies et accidents de la vie notamment les tontines pour les enterrements). Ces travailleurs nord -africains, comme on disait, ont également joué un rôle dans la protection d’artistes juifs algériens comme par exemple le chanteur Salim Hallali qui échappa aux rafles pendant l’occupation allemande grâce au recteur de la mosquée de Paris qui lui fournit une fausse attestation de musulman. Ces travailleurs aidèrent aussi activement à la guerre de libération, par leurs chansons, leur argent ou par leurs vies jetées dans la Seine ou matraquées à la station Charonne.

Barbès Café redonne donc souffle musical à des souvenirs singuliers pour en faire une mémoire collective. Le spectacle se joue encore, courez-y donc, vous en sortirez joyeux…

 

 

 


 

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