Kate Lindsey-Baptiste Trotignon, un air de Broadway aux Bouffes du Nord
Le théâtre parisien accueillait dimanche le duo formé par la mezzo américaine et le pianiste français. Kurt Weill, Alma Mahler, Korngold… Un récital enchanteur, entre lyrique et jazz.
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L’envoûtement a été immédiat. A peine les premières notes de « Nanna’s Lied » entonnées, la cantatrice Kate Lindsey a conquis le public des Bouffes du Nord, venu écouter le duo qu’elle forme avec le pianiste de jazz Baptiste Trotignon. Les deux interprètes ont collaboré sur un formidable disque au titre qui sonne comme une invitation au voyage, à la traversée transatlantique même : « Thousands of Miles » (Alpha Classics, 9,99 euros sur iTunes). Le récital parisien du dimanche 17 septembre, dont le programme était tiré de l’album, s’est révélé aussi doux qu’enveloppant.
Kurt Weill, Alma Mahler, Erich Wolfgang Korngold, Alexander von Zemlinsky : ces quatre compositeurs ont en commun d’avoir contribué à écrire une page phare de l’histoire musicale de la première moitié du XXe siècle. Et le concert dominical en a constitué une admirable preuve. En allemand, en anglais ou même en français (Kurt Weill a fui l’Allemagne nazie en 1933 avant de gagner les Etats-Unis en 1935), la sélection anthologique proposée par Trotignon et Lindsey témoigne du goût de ses interprètes pour cette période charnière où l’art lyrique opère un glissement vers le jazz et qui préfigure l’âge d’or de la comédie musicale américaine.
Absence de prétention
Pantalon bleu et chemise ample rouge, le pianiste s’est laissé aller à de séduisantes variations entre certains des lieder, pour le plus grand bonheur de spectateurs émerveillés par son jeu aussi ample que précis. Robe aux couleurs sombres et motifs à fleurs, Kate Lindsey était tout sourire lorsqu’elle se livrait à une courte présentation des airs. Chanter pendant une heure trente quasiment sans interruption : le challenge a été brillamment relevé par la mezzo. Avec Baptiste Trotignon, ils ont donné à entendre un moment de musique délicieux, de ceux dont la beauté et l’absence de prétention – une chose rare – font chaud au cœur.
Et quelle rêverie que ce « Falling in Love Again (Can’t Help It) » en guise de bis ! Repris avec tendresse par Kate Lindsey, ce standard du jazz signé Friedrich Hollaender (« Ich bin von Kopf bis Fuss auf Liebe eingestellt, « Je suis, de la tête aux pieds, faite pour l’amour ») est devenu l’hymne de sa première interprète, Marlene Dietrich, dans le film qui l’a rendue célèbre, L’Ange bleu (1930) de Josef von Sternberg. Une filiation géniale dans laquelle s’inscrit Kate Lindsey, qui, visiblement enceinte, s’est amusée à caresser son ventre en fredonnant une dernière fois le refrain : « What am I to do ? I can’t help it ».
Photo : Alexis Duval