Musique
Jenufa à l’Opéra de Lille

Jenufa à l’Opéra de Lille

30 January 2013 | PAR Audrey Chaix

L’Opéra de Lille accueille en ce début d’année une oeuvre qui n’avait jusque là jamais été présentée dans la capitale des Flandres : Jenufa, du tchèque Leos Janacek. L’histoire banale d’une jeune femme déshonorée par l’enfant qu’elle met au monde hors des liens sacrés du mariage, d’une belle-mère corsetée par une religion qui la pousse à commettre le pire au nom de la morale, d’une communauté qui étouffe autant qu’elle protège. Cette histoire, digne des faits divers les plus sordides, Janacek la sublime par la partition de cet opéra que l’on découvre avec bonheur.

 

Dans une mise en scène qui mise sur la simplicité, Patrice Caurier et Moshe Leiser ne cèdent pas aux trompettes de la modernité : c’est avec réalisme et universalité qu’ils plantent le décor de cette mise en scène. Des tenues sobres, aux couleurs sombres, avec quelques touches folkloriques pour rappeler l’origine moldave de la pièce ; des meubles en bois, des épluchures de pommes de terre, un plant de romarin ; un espace relativement exigu, coupé de l’extérieur par des volets qui sont là pour masquer la honte de Jenufa. Et dans une niche, une petite effigie de la Vierge Marie, à la fois symbole du poids de la religion, qui pousse la belle-mère de la jeune femme au pire, tout autant qu’elle représente le pardon, autre fil rouge de cet opéra.

 

Jenufa, interprétée par la sorprano Olga Guryakova, partage d’ailleurs quelques traits avec la Madone : longs cheveux blonds qui lui donnent un air de candeur émouvant, voix sublime où transparaît la douleur aussi bien que l’amour qui l’anime, image de mère magnifique malgré le déshonneur, capable de pardon tout autant que de rédemption… face à elle, Kathryn Harries, soprano également, interprète une dure et forte sacristine, la belle-mère de Jenufa, si désespérée par le déshonneur de sa belle-fille qu’elle parvient à se dire que noyer l’enfant illégitime sera le salut. Rongée par la culpabilité, elle finit par s’effondrer alors que son crime est découvert, implorant le pardon de Jenufa.

 

Face à ce duo de femmes, deux hommes, deux ténors, qui se disputent l’amour de Jenufa. Steva, d’abord, le père de l’enfant, un doux vaurien un peu veule qui a gagné le coeur de la jeune femme. On lui préfère rapidement Laca, demi-frère du premier, moins flamboyant mais plus profond, capable de défigurer Jenufa pour en dégoûter son rival, mais aussi de passer outre ragots et humiliation pour rendre la belle heureuse. Les dynamiques de ce triangle amoureux permettent aux trois personnages qui en forment les angles de s’étoffer alors que leurs relations évoluent. Autour d’eux évolue le choeur, qui entre en scène assez peu souvent, mais avec une présence et une énergie débordantes, donnant parfois à la communauté bienveillante du petit village des airs de foule menaçante, surtout dans les derniers instants de la pièce.

 

Autre partie prenante de cet opéra, c’est bien sûr la partition, servie de main de maître par le chef irlandais Mark Shanahan, qui dirige ici l’orchestre national de Lille. Les premières notes, jouées au xylophone, évoquent une avancée inexorable du destin, qui s”amplifie au fur et à mesure que la pièce avance. L’interprétation est d’une grande précision, un véritable travail d’orfèvre qui fait découvrir avec bonheur cette composition tchèque.

 

 

Photos : Frédéric Iovino

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Audrey Chaix
Professionnelle de la communication, Audrey a fait des études d'anglais et de communication à la Sorbonne et au CELSA avant de partir vivre à Lille. Passionnée par le spectacle vivant, en particulier le théâtre, mais aussi la danse ou l'opéra, elle écume les salles de spectacle de part et d'autre de la frontière franco-belgo-britannique. @audreyvchaix photo : maxime dufour photographies.

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