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Sarah Lancman & Giovanni Mirabassi  : “L’improvisation c’est une façon de jouer, c’est un langage commun”

Sarah Lancman & Giovanni Mirabassi : “L’improvisation c’est une façon de jouer, c’est un langage commun”

30 March 2021 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Le 2 avril, le label Jazz Eleven lance au Sunside les Inspiring live, des rencontres entre plusieurs univers du jazz autour d’une chanson. Sarah Lancman et Giovanni Mirabassi nous en disent plus.

Vous écrivez que Jazz Eleven est parti d’une blague, j’aimerais bien que vous la racontiez avec vos mots à vous.

Giovanni Mirabassi  : Le nom du Label est effectivement parti d’une vanne. Il y a quelques années, nous sommes partis en Thaïlande enregistrer des disques dans un magnifique studio à côté d’une piscine. Déjà, c’est pas mal ! Nous étions onze à table et nous venions d’un peu partout puisqu’il y avait de fervents musiciens qui étaient venus d’Europe, des Etats Unis, du Japon plus des cinéastes attitrés, plus l’équipe du studio et forcément des anglais. C’était une tablée assez cosmopolite. Et quelqu’un a dit : « On dirait que nous sommes en train de préparer un hold-up, le casse du siècle. » Toku a rappelé que dans un journal japonais on m’avait appelé « Le Georges Clooney du jazz européen !» (rires)
Sarah Lancman : cela vient d’un délire devenu réalité !  J’aurai bien aimé citer Einstein mais ce sera Jean Claude Van Dam, “un plus un égal onze ! “. Nous nous sommes rendus compte en étant là-bas que chacun avait sa force, sa spécificité et son unicité et cela nous donnait une force de groupe.

Ce groupe a vraiment fait partie de la fondation du label ? Est-ce qu’au commencement ça a vraiment été un groupe de onze ?

GM : Sarah et moi sommes les fondateurs du label malgré tout.  Je suis le brain et elle est le heart (rires) Nous en sommes les organes vitaux. Ensuite, les autres, nous les avons embarqués plus ou moins. Certains sont toujours avec nous, d’autres collaborent avec nous moins souvent. Nous sommes une équipe assez fidèle !

Et tous ne sont pas musiciens, c’est ce que vous disiez. Est-ce que vous pensez que les artistes parlent mieux de ce qu’ils connaissent et que finalement le jazz est un très petit milieu et que pour en parler il faut être dedans ? Ou au contraire, est-ce que c’est compliqué d’être un artiste à la tête d’un label ?

SL: J’ai mis les mains dans le cambouis et j’ai vraiment été des deux côtés, pas comme Giovanni qui lui dans la majeure partie de sa carrière a été vraiment artiste et a eu un label qui s’est occupé de lui. Ce qui a été notre force dans notre rencontre avec Giovanni c’est qu’il avait l’expérience, comme il a vu du pays et qu’il a des contacts, cela m’a mise en garde. J’ai pu me rendre compte que la liberté a un prix : celui de la difficulté. Pendant trois ans, jour et nuit, nous avons bossé littéralement comme des malades.

Avoir un label pour vous c’est une forme de liberté ?

SL : Oui, c’est une forme de liberté parce que nous choisissons quand enregistrer, quoi enregistrer, comment enregistrer, comment on fait la pochette, le programme, avec qui nous jouons. On choisit tout. Parfois quand on est dans une grande maison de production, le problème est que nous ne choisissons rien. C’est aussi génial d’être dans une grande machine, parce qu’on est déchargé de tout ce qui est administratif, de la communication, des contacts. Nous nous sommes rendus compte que nous étions le noyau dur mais qu’ensuite autour nous avions besoin forcément de nous entourer.

Combien de personnes représentent Jazz Eleven aujourd’hui ?

GM : Aujourd’hui nous sommes plus qu’avant. Au début, nous étions deux créateurs du label et les autres étaient et sont toujours d’ailleurs des freelances. Aujourd’hui nous avons des locaux parce que pendant des années nous nous réunissions dans un café des Abbesses. Aujourd’hui nous avons des locaux, nous avons des employés, nous avons des bénévoles. On est quand même 7 personnes dans le label plus des collaborateurs extérieurs. Donc, en fait, on est beaucoup plus que 11.

Une question d’actualité : la situation fait que les concerts sont impossibles. La gestion française de l’épidémie empêche la culture vivante d’exister mais est-ce que c’est un frein pour enregistrer un disque, le produire et le sortir ?

GM: Pas vraiment. Par exemple, j’ai pu mener à bien un projet qui est beaucoup plus qu’un disque : Pensieri Isolati.  Je suis allé faire un disque en solo, ça s’y prêtait parce que l’on est tout seul dans un studio, on est isolé du reste du monde puisque l’ingénieur du son est dans une autre pièce. J’ai demandé aux gens de partager avec moi leurs pensées isolées par le biais d’une page Instagram. Et puis mine de rien ce projet commence à avoir de l’envergure puisque nous allons certainement faire une résidence au théâtre du Châtelet et peut-être y jouer après la création qui aura lieu à l’espace Carpeaux de Courbevoie. En réalité, nous restons en contact avec le public, nous avons communiqué par le biais des réseaux, nous avons réussi à jouer un peu.

SL : Il faut préciser que c’est un album en piano-solo.

GM: Nous avons également réussi à faire une promotion très digne pour le disque de Sarah Lancman, Parisienne, qui était censé sortir en mars. Nous devions le jouer au Café de la Danse, cela a été annulé. Heureusement, nous avons pu organiser un concert pour TSF Jazz

SL : Comme vous le savez, nous avons joué au Bal Blomet en octobre. Pour ma part, il n’y a pas forcément de spectacle vivant mais cela ne freine pas pour moi la création, la créativité en tout cas. Je sens au contraire que ça me permet de me connecter à d’autres artistes même si c’est juste en vidéo. Je trouve cela quand même magique de pouvoir tester d’autres choses. Et puis ça donne envie d’écrire. Pour moi un album c’est un peu comme une photographie. Après deux confinements, je ressens que la photographie ne me ressemble plus. Il faut savoir qu’entre le moment où j’ai écrit Parisienne et le moment où je l’ai enregistré, c’était en 2019, le monde s’est écroulé.  Je suis censée jouer, j’ai des dates en septembre 2021, espérons …  Je trouve que cette période de pause est un cadeau extraordinaire parce que le doute fait avancer, remettre tout à plat et de se dire « Est-ce que c’est vraiment là que j’ai envie d’aller ? ». Je trouve que, parfois, en tant qu’artiste, on est notre propre coach, on est souvent notre guide. On est bien sûr entouré des bonnes personnes pour pouvoir avancer mais c’est quand même nous qui nous motivons tous les jours. Moi j’essaye de retravailler ma technique vocale, même de désapprendre, de revenir aux fondamentaux. Cela demande vraiment un entraînement sportif.

J’aimerais qu’on entre un peu plus dans la musique que vous défendez dans votre label. Vous avez tous les deux en commun un jazz ultra élégant, d’une beauté inouïe, avec un côté un peu rétro même. Vous semblez assumer un jazz éternel. Est-ce que c’est quelque chose que vous voulez défendre avec votre label ?

SL: Nous  avions à la fois envie de tradition et de modernité.

GM : Nous aimons bien le jazz acoustique donc déjà cela nous place dans un monde. On est plutôt « open-minded » en général. Mais c’est vrai que le label s’appelle Jazz Eleven. Je trouve qu’aujourd’hui le mot jazz est collé sur tout sauf sur du jazz.

Justement, vous vous ouvrez à Anne Sila ou à  Walter Ricci qui sont quand même au bord de la pop.

GM : Alors, nous ne les avons pas dans le label mais nous travaillons avec eux.

SL: C’est que je trouvais fascinant dans cette période de créativité… J’ai eu envie d’appeler des artistes qui sont dans des univers complètement différents des nôtres. Après, forcément nous avons des aspirations communes, mais c’est ça que je trouvais intéressant. Je suis tombée sur une vidéo d’Anne Sila, nous avons a des amis communs mais on n’a jamais chanté ensemble. J’adore chanter le français, c’est quelque chose qui me tient vraiment à cœur. Et, à un moment, j’ai vu qu’elle avait fait sur Instagram un extrait d’une chanson de Joe Dassin. J’ai été fascinée par sa manière d’interpréter la chanson. J’ai eu envie de savoir ce que cela donnerait nos deux voix  ensemble.

D’ailleurs, qui sont les artistes signés chez Jazz Eleven ?

SL : Alors il y a Toku qui est un chanteur japonais à la voix de Barry White, Thomas Bramerie, un contre bassiste qui a fait un projet avec plein de stars du jazz et qui va bientôt sortir un nouvel album chez nous. Il y a Stéphane Huchard, un batteur de jazz qui a joué avec des chanteurs et des chanteuses telles que Maurane. Et il y a nous.

Est-ce que vous avez envie de signer des artistes comme Guillaume Perret qui ouvrent le jazz ?

GM: S’il n’était pas signé ailleurs, je l’aurais signé tout de suite ! Notre démarche est particulière, la tendance n’est pas d’ouvrir à d’autres artistes. En ce moment, les artistes ouvrent leur propre label. Aujourd’hui, ce que les maisons de disque apportent n’est plus vraiment à la page avec la manière dont les gens consomment de la musique. Notre secteur étant en pleine mutation. Aujourd’hui, faire des disques est devenu une activité un peu improbable. Il faut à tout prix que le jazz s’ouvre sur les réseaux.

Nous allons tous nous retrouver le 2 avril. Qu’est ce qui va se passer ? Quel est ce projet:  Inspiring Live ?

SL : Le concept est simple : une rencontre artistique à chaque vidéo. Le choix du titre n’est pas anodin. Ce que j’ai trouvé chouette en choisissant Guillaume Perret, c’était de lui donner un standard de jazz et de l’emmener ailleurs, le revisiter.Par exemple, par rapport à Walter Ricci, j’ai tout de suite pensé à une chanson de Fame, le film d’ Alan Parker en 1980, vous verrez !

Et d’un point de vue très pratique, qu’est ce qui va se passer ?

SL: Pour la diffusion, ce sera une vidéo chaque mois. Le 2 avril, nous allons tourner à la chaîne. Ça va être très intense parce que ce sont des univers qui sont complètement différents. Pendant 1h30, on se concentre et on fait des plans séquence donc il y a quand même le côté du live, on ne va pas couper dedans. Ce n’est pas comme en studio.
GM : Nous avons commencé à faire Inspiring live il y a quelques années. La chanson fondatrice de notre alliance à Sarah et moi s’appelle « Inspiring Love ».

 

C’était la première chanson que Sarah m’a envoyée. J’étais en tournée au Japon et il était question qu’on fasse une collaboration artistique. Je lui ai demandé si elle écrivait des chansons. Du coup, elle a fait une maquette au piano et elle me l’a envoyée. C’est une chanson très belle qui est sur son deuxième album. Tout est parti de cette chanson-là. C’est pour ça qu’on a appelé nos vidéos Inspiring Live mais ce n’est pas du Live dans le sens de « en direct ». Mais c’est du live car c’est nous qui jouons. C’est filmé dans les conditions du direct.

Il y a une mise en scène?

SL: Le spectateur est immergé sur la scène. L’idée est que la camera soit dans l’œil du spectateur, elle va bouger en fonction de ce qui se passe sur scène. Ce ne sera pas un plan fixe.

GM: J’ajoute que nous avons commencé à les faire il y a des années à la maison avec des artistes de différents horizons, et c’est le principe d’Inspiring Live. Nous ouvrons les portes à d’autres influences. Il ne faut pas oublier que le jazz a toujours fonctionné comme ça, c’est une musique de fusion. Il est né grâce à la fusion de la musique européenne du 19ème et la musique importée par les esclaves africains dans les champs de coton. Et puis il a évolué, il a rencontré la musique de la Nouvelle-Orléans, la musique cubaine et des tas d’autres influences. Nous continuons à faire ce que les jazzmen ont toujours fait c’est-à-dire s’inspirer de vieux répertoires, les jouer dans un certain style en ouvrant la porte à d’autres styles. Quand je disais tout à l’heure que le jazz se targue d’être jazz et qu’aujourd’hui il n’y a plus de jazz, ça ne veut pas forcément dire qu’on ne peut pas faire de jazz avec quelqu’un qui fait de la pop. Le but c’est de faire du jazz.

Sarah : Ce qui est chouette, c’est l’improvisation, comment on se connecte à l’autre. L’improvisation c’est une façon de jouer, c’est un langage commun.

Et où est ce que ces vidéos seront visibles ?

SL : Elles le seront sur Youtube, Instagram, Facebook, les comptes de Jazz Eleven ainsi que tous les comptes des artistes qui participent. Le 2 avril, les rencontres artistiques  se feront en Live Facebook.

 

Visuel : ©Jazz Eleven

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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