Musique
Jazz : Interview de Jacky Terrasson

Jazz : Interview de Jacky Terrasson

02 June 2011 | PAR Neil Saidi

A l’occasion de l’ultime soirée du festival Jazz à Saint-Germain-des-Prés, l’auditorium de l’Institut Pasteur a accueilli l’ange gardien du festival, Jacky Terrasson, qui s’y produit pour la 11ème fois consécutive. Cette année en compagnie d’un quartet formé du contrebassiste Stéphane Kerecki, du percussionniste Xavier Desandre Navarre, et du batteur Léon Parker, avec en invité la chanteuse Malia. Toute la Culture a eu la chance de passer un moment avec le pianiste pour lui poser quelques questions.

 

TLC : Est-ce que tu peux nous rappeler un peu ton parcours, à quel âge as-tu décidé de te consacrer entièrement à la musique ?

Jacky Terrasson : Sans vraiment savoir où j’allais, je crois que dès l’âge de 16 ans je savais que c’est ce que j’allais faire. J’étais trop mordu par la musique, ça me prenait énormément de temps et je m’apercevais que c’était devenu une priorité. J’avais aussi la chance de connaître quelqu’un qui avait beaucoup de disques de jazz, beaucoup de documentaires sur les musiciens de jazz, un monsieur qui s’appelait Francis Paudras, et j’étais tout le temps fourré chez lui à écouter et à découvrir de nouvelles choses. A partir de ce moment là, j’ai vraiment voulu que le piano devienne ma vie. A l’époque j’étais au lycée Lamartine, un lycée à horaires aménagés où j’avais cours le matin et musique l’après-midi. A la fin du lycée je suis parti m’installer à Boston pour étudier au Berklee College of Music pour lequel j’avais demandé une bourse qui m’a été accordée. Je devais y rester deux ans, mais je n’y suis finalement resté qu’un an. Là-bas j’ai rencontré un bassiste avec lequel je jouais tout le temps dans les Practice Rooms, il aimait bien comment je jouais et j’aimais bien comment il jouait, il m’a proposé un gig dans un club de Chicago six soirs par semaine, j’ai accepté et j’ai quitté Boston après une année d’études à Berklee. L’expérience de Chicago a duré dix mois et c’est ça qui a été pour moi la vraie école. Berklee c’était génial, l’environnement était parfait, très excitant, très stimulant, c’était la première fois que j’étais entouré de jeunes musiciens de mon âge qui aimaient la même musique, on voulait tous faire la même chose. A Paris j’avais un peu l’impression d’être un martien, je parlais aux gens de Dexter Gordon, d’Art Blakey, et on me disait « qui ? » (rires). A Berklee on était tous là pour étudier nos héros c’était cool. Mais partir à Chicago jouer six soirs par semaine ça a vraiment été très formateur. On jouait la première moitié du set en trio et l’autre moitié avec un crooner à la Sinatra.

Ton expérience à Chicago a donc été plus enrichissante que ton année passée à Berklee ?

Pour l’expérience de métier oui. Mais dans les écoles on apprend aussi beaucoup de choses. Seulement, moi ce que je voulais c’était vraiment jouer, jouer et jouer. Les écoles sont très bien, mais je pense qu’il faut en même temps essayer de jouer un maximum sur scène, faire des concerts, c’est là qu’on apprend. Je connais beaucoup de musiciens aux Etats-Unis, par exemple, qui sont dans des écoles qui leur permettent de partir en tournée avec d’autres musiciens si l’occasion se présente et de reprendre leur cursus. Et je trouve ça très intelligent, parce que dans l’école on apprend plein de choses sur l’harmonie, sur le rythme, sur son instrument, sur l’histoire de la musique, mais on n’apprend pas à être sur scène.

Quels sont les musiciens qui ont le plus influencé ta musique tout au long de ton parcours musical ?

Y en a beaucoup ! Je vais te citer les pianistes. Bud Powell, Thelonious Monk, Bill Evans, Ahmad Jamal, Keith Jarrett, McCoy Tyner, Herbie Hancock, Cecil Taylor, Eroll Garner, Lennie Tristano, Paul Bley, et d’autres encore que j’oublie.

Comment se déroule une journée type pour toi ? Passes-tu beaucoup de temps avec ton piano ? Comment est-ce que tu composes ?

C’est assez aléatoire, y a des jours où je ne touche pas à mon piano et des jours où je reste collé à lui, ça dépend un peu des responsabilités de la journée. L’idéal c’est quand je peux jouer trois heures par jour régulièrement. En général le moment de la journée où je suis le plus productif c’est le matin. Dès que je me réveille je vais au piano, j’y passe deux-trois heures, surtout pour l’écriture. Je me réveille zombi, je vais au piano directement et je cherche des trucs. Si au niveau de l’écriture ça ne passe pas, je travaille la technique ou un répertoire plus classique. C’est vraiment le matin que j’ai l’impression que mon cerveau n’est pas encore pollué.

Est-ce que tu peux nous en dire plus sur le premier morceau que vous avez joué lors du concert de samedi soir ? Une version géniale de « Beat it » pendant laquelle on a pu entendre d’autres mélodies familières.

Ca a commencé il y a un an et demi, j’étais avec Jamire Williams et Ben Williams, on devait jouer quatre jours dans un club à New York. Le premier jour on est allé faire un sound check dans l’après midi et la nouvelle de la mort de Mickael Jackson venait de tomber. Le soir même on a commencé à écrire l’arrangement de ce « Beat it/Body and Soul », j’ai donc commencé avec ce « Beat It » un peu mélancolique, lamentatif, et depuis c’est resté. Au fur et à mesure, il y a plein de choses qui se sont rajoutées, « Smoke gets into your Eyes », et aussi la mélodie d’Harry Potter que je trouve très jolie.

Quels sont les musiciens contemporains que tu écoutes actuellement ?

Je viens de découvrir Steve Reich, c’est lamentable de seulement le découvrir aujourd’hui mais bon. J’ai découvert une pièce qu’il a écrite qui s’appelle « Music for 18 musicians », c’est de la musique très répétitive, il se passe beaucoup de choses, ce n’est pas monotone mais très répétitif. A la première écoute on se dit que c’est quelqu’un qui a travaillé avec des séquenceurs et des ordis et en fait j’ai regardé sur Youtube, pas du tout ! T’as deux pianos, des clarinettes, des violons, des percus et d’autres instruments, et ça dure une heure ! C’est en fait une vague qui se déplace lentement, et il se passe vraiment plein de choses. C’est super intéressant. Sinon en ce moment j’écoute aussi beaucoup de musique classique, j’écoute du Bach. Je suis en train de chercher des thèmes qui pourraient être intéressants à travailller. J’ai découvert récemment de la très, très, belle musique de Marcel Dupré, des mélodies très simples avec de très belles harmonies, je suis surpris que Keith Jarrett ne les ait pas reprises, ça lui correspond tellement bien, mais en même temps je suis content qu’il ne l’ait pas fait parce que moi je vais le faire ! (rires)

Qu’est-ce tu penses de la récente polémique autour de la lettre ouverte du pianiste Laurent Coq qui dénonce le fait que les musiciens français ne sont pas assez représentés à la radio et dans les clubs, que les jeunes n’ont pas beaucoup de lieux pour jouer et que certains clubs appliquent des tarifs parfois prohibitifs pour un certain public ?

Il faudrait en effet, qu’il y ait plus de lieux. Maintenant, chaque programmateur est libre de ses choix. Ce qui est déplorable c’est qu’il n’y ait pas assez de lieux, pour que tous ces jeunes qui sont formés, et qui jouent très bien, puissent avoir des débouchés. Est-ce que parce qu’il y a deux clubs à Paris qui marchent bien, ces clubs doivent accueillir tout ce qui se passe à Paris ? Je ne pense pas. Je crois que pour faire avancer le problème, il faudrait ouvrir plus de clubs à Paris plutôt que de vouloir changer la politique de certains.

Tu vis à New York, est-ce que la situation est différente là-bas ?

Il y a beaucoup plus de lieux à New York, au moins une dizaine de clubs qui tournent bien.

Avec des clubs comme le Fat Cat Jazz Club ou Smalls, où les tarifs ne sont pas exorbitants.

Oui ce sont des clubs comme ça qui manquent à Paris. Et puis je pense qu’il y aussi des problèmes de communication, on m’a parlé d’un club qui a ouvert il y a quelques mois dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, et personne ne le connaît. Il paraît que c’est super beau et qu’il y a un piano à queue. C’est au 22 rue Jacob. Je pense que ça peut devenir quelque chose si une bonne « com » est faite autour de ce club et que les musiciens s’y rendent. C’est vrai aussi qu’il y a le problème des prix qui sont parfois assez élevés.

Quels sont tes projets en ce moment, sur quoi travailles-tu ?

Je travaille sur un nouveau répertoire pour le trio parce que ça fait environ un an et demi qu’on explore un peu les mêmes choses. Je pense aussi à un prochain disque, la musique est là mais je suis en train de réfléchir à la formation.

Donc pas forcément un trio ?

Ca sera un trio plus.

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Neil Saidi

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